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de surexcitation. Où l’imagination intervient, c’est dans la modification de ces représentations empiriques, et dans leur adaptation, si je puis dire, aux pressentiments de la vie sexuelle.

Puis commence d’ordinaire le développement de l’imagination esthétique. L’art où l’enfant réussit le plus vite est la musique : à douze ou treize ans, ont été produites des œuvres déjà remarquables, telles que le Mithridate, de Mozart, et le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn. Dans les arts plastiques, l’enfant ne se distingue guère avant quatorze ans ; et les plus jeunes des poètes de valeur ont au moins seize ans. Plus tardive encore est, en moyenne, l’éclosion de l’imagination scientifique. Chaque art, de son côté, notamment les arts plastiques et la poésie, suit le même ordre de développement, du concret à l’abstrait : comparez l’Iliade à Faust.

Dans ce chapitre sont condensés un nombre considérable de faits. Peut-être pourrait-on demander plus d’idées générales. Peut-être aussi pourrait-on soutenir que les stades de l’évolution de l’imagination ne sont pas marqués nettement, et que le lecteur n’assiste pas à la complication progressive, au lent travail d’enrichissement, d’une faculté qui commence par reproduire presque fidèlement une perception, et qui finit par créer des œuvres comme Hamlet, Faust, ou la Légende des siècles.

VI. Relations avec les phénomènes corporels. — L’imagination excite l’activité du corps, notamment celle du cœur ; elle élève la température générale de l’organisme, en particulier celle de la tête : elle est même capable d’imprimer à l’attitude du poète un caractère durable. Elle est cause de fatigue, parfois de désordres organiques : M. Œ.-N. aurait pu ajouter à ses exemples celui de Malebranche, pris de battements de cœur à la lecture du Traité du monde, de Descartes. Mais le génie n’est pas, comme on le croit quelquefois, une cause de mort prématurée, pas plus qu’elle n’est une cause de folie.

Les mêmes phénomènes du corps, qui sont les effets de l’imagination, peuvent en être les causes. La vivacité du pouls, la température élevée de la tête, l’activité des sens, favorisent, ou même produisent, l’activité de l’imagination. L’influence des affections sexuelles sur l’art est indéniable. À ce sujet, M. Œ.-N. indique la différence entre l’imagination de l’homme et celle de la femme. Celle-ci ne brille guère dans les arts intuitifs : musique, peinture, sculpture. On pourrait ajouter que lorsqu’elle est poète, sa fantaisie se plaît dans l’abstrait plutôt que dans le concret : telle Mme Ackermann. Et même en fait de créations abstraites, la femme, comme le dit M. Œ-N., est bien inférieure à l’homme : elle n’a rien inventé de durable dans la science. Peut-être faudrait-il excepter Sophie Germain. Mais, ce qu’il y a de certain, c’est que la constitution corporelle influe sur l’imagination. Ainsi, l’âge affaiblit le pouvoir créateur. Il n’est pas vrai, pourtant, que la maturité entraîne une baisse de l’imagination ; celle-ci, tout en s’enrichissant, est, alors,