Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517
fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

Ne nous y trompons pas ; il pourra y avoir lutte entre l’esprit de foi et l’esprit de science. Nous voyons déjà la science malmenée par quelques écrivains, qui le plus souvent d’ailleurs paraissent n’en avoir qu’une idée vraiment trop imparfaite comme le poète qui a écrit :

Le seul savant, c’est encore Moïse.

Et les savants ou prétendus tels ne sont pas innocents de cette réaction par la façon dont ils ont présenté comme scientifiques des théories aussi hypothétiques que pas une. Il n’est pas très rare encore en psychologie de voir considérer comme « scientifique » une hypothèse par cela seul qu’elle est exprimée en termes empruntés à la physiologie. Mais si la réaction allait jusqu’à prévaloir contre les habitudes de constatation rigoureuse, d’analyse précise et de synthèse exacte que nous sommes occupés à acquérir avec tant de peine, ce serait un recul considérable d’accompli et une autre réaction à craindre. L’esprit scientifique est fort par bonheur, même chez plusieurs représentants des nouvelles tendances.

Que reste-t-il au point de vue scientifique à celui qui ne peut plus croire aux anciens dieux ni aux nouveaux ? Moins qu’on ne voudrait, quelque chose cependant. Si la religion est un mode d’association entre les hommes d’abord, entre les hommes et le monde ensuite, ce n’est pas le seul. Ce besoin d’harmonie, d’unité que nous portons en nous, nous avons de quoi le satisfaire non pas pleinement, mais assez cependant pour que celui qui s’attache réellement à une œuvre, à une idée, à une recherche y trouve le soutien de sa vie et la satisfaction et même, s’il est fort, le calme devant la mort. Il ne manque pas d’hommes dont la science, la patrie, l’art, la famille, moins encore, un métier, une occupation aimée ont rempli la vie. L’homme est un rouage, engagé dans des mécanismes qui se compliquent à mesure qu’ils se multiplient. Au-dessus de lui il a la famille, groupement d’intérêts communs, groupement d’affections semblables, d’habitudes analogues, de traditions plus ou moins vieilles. La famille s’affaiblit en un sens, nous l’avons à la fois élargie et diminuée, la diversité des croyances et des besoins qui s’y est introduite a nui à son unité, à la solidité de l’union de ses membres, mais ne l’a pas ruinée ; elle peut encore répondre dans une certaine mesure aux besoins d’harmonie et d’unité. Au-dessus de la famille, la patrie, la convergence des goûts, des croyances, des idées, des sentiments, des intérêts, la solidarité établie par les institutions sont des conditions très favorables à l’établissement d’un lien réel. Ce lien s’étant relâché, le cosmopolisme avait repris faveur. Une réaction s’est produite depuis nos malheurs. Elle a devancé les autres mouvements