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de direction analogue. La patrie est devenue pour quelques-uns l’objet d’un véritable culte. Peut-être va-t-on quelquefois bien loin en ce sens. Je l’affirmerais davantage si les manifestations d’un patriotisme mal compris, comme celle qui a empêché la représentation à Paris d’une œuvre musicale allemande, ne se mêlaient souvent à des sentiments fort suspects. Du reste le patriotisme bien compris ne peut inquiéter les partisans d’une forme d’association plus haute encore, pas plus que le développement normal des individus ne doit inquiéter sur le groupement social dont il est au contraire une condition.

Entre la famille et la patrie ou même en dehors de ces groupes s’échelonnent une série de petits systèmes sociaux plus ou moins considérables, mais qui peuvent avoir, à notre point de vue, une grande importance, les sociétés scientifiques, les sociétés de secours mutuels, les associations économiques peuvent devenir des occasions d’exercer l’esprit moral et l’esprit religieux. Certaines de ces associations, par leur but lointain, par leur programme pour ainsi dire infini, ouvrent d’assez vastes perspectives pour satisfaire des besoins d’harmonie même exigeants.

Au-dessus de la patrie enfin, l’humanité, qui en un sens n’existe pas encore ; elle ne sera un objet réel que le jour où les relations entre les peuples auront pris un caractère différent de celui qu’elles ont gardé jusqu’ici, où la solidarité, les coopérations régulières, l’unité de fin se seront établies d’un bout de l’univers à l’autre. Jusque-là l’humanité comme tout systématisé n’existe qu’au sens compréhensif, non au sens extensif, non comme réunion d’hommes, mais comme réunion des caractères proprement humains, en ce sens où Molière prenait le mot dans une scène fameuse de Don Juan. Le culte de l’humanité dans un sens ou dans l’autre, comme recherche religieuse de l’idéal entrevu : l’union universelle des hommes ; comme respect et développement de ce qui, dans l’homme, constitue l’homme même, comme expression de la subordination désirable ou réelle de l’homme à un grand ensemble de conditions sociales ou à un idéal moral, n’est pas peut-être aussi dépourvu de sens qu’on l’a dit et redit, mais il a le tort d’adapter des formes vieillies d’action et de pensée à des idées nouvelles, de « mettre le vin nouveau dans de vieux vaisseaux ».

De plus il serait incomplet. La religion, comme l’a dit Guyau, doit être non seulement humaine, mais cosmique. L’homme désire ou veut se sentir relié aux lois générales de coordination du monde, c’est-à-dire qu’il poursuit en théorie comme en pratique la synthèse la plus large possible des phénomènes, le maximum de finalité. Autrefois il se