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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

faisait volontiers le centre de l’univers, Dieu avait tout disposé pour lui, la coordination existait pour lui, il en était, après Dieu, le centre et le but. Il est aujourd’hui moins exigeant et se contenterait de collaborer à une œuvre divine d’harmonie cosmique. On a pu croire autrefois que cette harmonie universelle existait, que l’homme était un de ses facteurs plus ou moins importants. Il faut en rabattre. Le positivisme religieux, le panthéisme, le déisme ont mis trop d’ordre, dans l’univers théorique qu’ils ont construit ; même l’évolutionnisme qui considère l’univers dans son ensemble comme étant un tout organique et celui qui pense que « Dieu se fait » et qui recule dans ce futur l’harmonie que le présent nous refuse.

Ces doctrines s’appuient cependant sur un certain nombre de faits réels, mais qu’elles dénaturent et dont elles tirent des conclusions trop forcées. L’homme existe, par conséquent les conditions de son existence sont réahsées, par conséquent l’univers lui est jusqu’à un certain point favorable. Il paraît difficile de faire sortir de là une vraie religion. L’harmonie existe jusqu’à un certain point dans le monde, par exemple, dans le système solaire, et dans les autres systèmes analogues. Mais cette harmonie est peu de chose en somme, à côté de celle que l’homme introduit dans l’univers, par cela seul qu’il le voit, qu’il le comprend, qu’il agit sur lui, c’est-à-dire qu’il le fait entrer dans des systèmes coordonnés de sensations, de pensées, de désirs et d’actions. Peut-être cependant existe-t-il partout, comme chez l’homme, comme chez les animaux, une tendance obscure à l’harmonie, satisfaite dans l’homme par la réalisation de ses désirs, dans le cristal par la réalisation de la forme voulue, dans les molécules par la combinaison chimique. L’univers doit être conçu comme un ensemble de tendances vers le bien ; seulement ces aspirations moléculaires, animales, humaines, sociales sont égoïstes, ou plutôt divergentes ; le bien de l’un est le mal de l’autre ; si l’harmonie existe, c’est dans les éléments, non dans l’ensemble ; si, çà et là, quelques groupements d’atomes et de molécules sont arrivés à une complexité relativement avancée : les sociétés humaines, c’est un état encore bien inférieur par rapport à ce que nous pouvons rêver, plus inférieur encore par rapport à ce qui dépasse non seulement notre esprit, mais notre rêve. Non seulement Dieu n’est pas encore, mais il est à craindre qu’il ne soit jamais, au moins le Dieu universel. Un Dieu local, partiel aurait plus de chance de réahsation. Çà et là, nous apercevons des ébauches qui se sont formées à la suite d’une longue évolution. L’humanité est encore ce que nous connaissons de plus divin, et le meilleur moyen qu’on ait eu de représenter Dieu, a été encore d’idéaliser l’homme et d étendre à l’univers entier certains de ses attributs.