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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

pu admettre, avec des fables innombrables, certains faits réels que nous rejetons encore faute de pouvoir les rattacher aux connaissances acquises. La prudence est une qualité qu’il ne faut pas exagérer même en matière scientifique et, pour ma part, je sais bon gré aux savants qui se hasardent dans des régions inexplorées, — en tout cas rien ne nous autorise encore à affirmer que nous soyons sur le point de découvrir une force réellement utile, un moyen efficace pour augmenter entre le monde et notre l’esprit l’harmonie que nous désirons.

Mais ce n’est pas au seul point de vue objectif que nous devons considérer l’évolution qui se produit. Un de ses caractères est précisément la part considérable que paraît y prendre le côté affectif de notre être. On se plaît à être ému. Ce n’est pas un mal pourvu que la lucidité de l’esprit n’ait pas à en souffrir. L’émotion, quand elle n’est pas encore devenue un but, quand elle ne résulte pas seulement d’une simple excitation de l’imagination, d’une rêverie plus ou moins vaine, accompagne généralement les tendances assez fortes pour se traduire par des actes. Elle est par conséquent dans notre état psychologique actuel, un signe non pas constant, mais assez ordinaire de la force, de la profondeur, de la complexité de nos besoins. Lorsqu’une tendance atteint chez une personne une intensité particulière, il n’est pas rare qu’elle s’accompagne de sentiments assez vifs, tandis que, plus faible chez les autres, elle est une habitude machinale et passe inaperçue. Nous pouvons mettre des émotions religieuses, des impressions morales, du mysticisme même dans des actes qui n’intéressent guère que nous, si ces actes tiennent dans notre vie une place considérable, si nous nous en rendons compte, si nous les considérons comme la fin principale vers laquelle doivent converger toutes nos idées, toutes nos croyances et tous nos désirs. L’unification de la vie, l’unification de la société, l’unification du monde idéal ou réel, lorsqu’elle est difficile à atteindre, lorsque nous les recherchons volontairement, lorsque nous nous rendons compte à la fois des obstacles qui nous séparent de ce but et de la nécessité sinon de les vaincre, du moins d’essayer de les vaincre, tel est l’objet du sentiment religieux, du sentiment moral, du sentiment esthétique ; ce sont des formes plus ou moins élevées de la tendance à l’association systématique qui est la loi générale de la psychologie. Ce qu’une philosophie scientifique peut offrir pour satisfaire ce besoin d’harmonie ne peut ordinairement l’apaiser complètement. Les esprits qui demandent trop impérieusement à connaître le dernier mot de l’harmonie universelle et qui veulent participer à cette harmonie peuvent ne pas s’en contenter ; ils ont, chacun selon