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on le laisse entendre, et l’on agit en conséquence. Quelques-uns prennent pourtant la peine de donner la raison de leur indifférence à cet égard. Les langues indo-européennes que nous reconnaissons comme les plus anciennes, telles que le sanscrit, le grec, le lalin, etc., sont, disent-ils, eu égard à la langue mère inconnue dont elles dérivent, dans le même rapport que les langues romanes sont avec le latin, leur auteur commun. Or, pourrait-on restituer celui-ci, s’il était complètement perdu pour nous, à l’aide de celles-là ? Évidemment non. En appliquant le même raisonnement à la langue mère indo-européenne, qui seule contient les racines de ses filles, on conclut que ces racines nous échappent fatalement et que, ne les connaissant pas et ne pouvant pas les connaître, nous ne saurions raisonner utilement de leur origine, de leur forme réelle, de leurs combinaisons, etc.

Il serait facile de montrer qu’en vertu de la même logique toute conclusion en matière de grammaire comparative nous serait interdite. Nous ne pouvons établir de parallèle intéressant entre différentes formes correspondantes des langues dérivées de la langue mère qu’en restituant par induction l’ancêtre commun dont elles proviennent, tel qu’il existait dans la langue mère ; c’est le seul moyen même de constater les lois phonétiques propres à chacun des idiomes secondaires. Quand, par exemple, après avoir rapproché les unes des autres les formes mâtar du sanscrit, mâter du latin, μάτηρ du dorien et μήτηρ de l’ionien-attique, nous en concluons à l’existence d’un prototype mâtar ou mâter dans la langue mère et à un changement de â en ê en ce qui concerne le passage de celle-ci à l’ionien-attique, que faisons nous, sinon prouver que nous nous croyons en état de reconstituer la langue mère par des procédés scientifiques, et même de reconnaître les lois phonétiques qui l’ont modifiée ? Le changement en question de â en ê est en effet, tout l’indique, un des phénomènes marquant la transition de la langue mère au grec ionien, et non pas une modification qu’il faille en isoler complètement, car il n’y a pas eu de solution de continuité entre elle et ses filles.

Quoi qu’il en soit, tous nous refaisons la langue mère et si le positivisme grammatical s’opposait à ce qu’on la refît, c’est toute la grammaire comparative indo-européenne qu’il faudrait appeler œuvre d’idéologues, et non pas seulement le résultat des spéculations sur les racines.

Mais il y a mieux : si les racines, dans toutes les langues, et tout le monde est d’accord à cet égard, ne peuvent être autre chose que les bases de la dérivation ou les têtes de ligne de chaque famille de