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Tel que nous le possédons actuellement, il n’y a pas un siècle que ce concept a été complété lorsque la chimie moderne s’est constituée. Il est loin d’ailleurs d’avoir une précision scientifique, et il convient de noter qu’il a des caractères différents pour le mathématicien, pour le physicien ou le chimiste.

En mécanique, la matière est considérée comme mobile et dès lors située dans l’espace ; il est indifférent de l’imaginer comme remplissant continûment une étendue figurée ou comme attachée à des points mathématiques isolés. Mais, en tout cas, il est regardé comme inconcevable que des objets matériels distincts occupent le même lieu de l’espace. D’autre part, leur état de repos ou de mouvement est supposé ne se modifier que par l’effet de causes distinctes de la matière, quoique pouvant lui être regardées comme inhérentes, et que l’on appelle forces. Enfin, en dehors de la figuration, chaque objet matériel possède une qualité spéciale, dite masse, d’après la valeur numérique de laquelle il se comporte différemment sous l’action d’une même force. Ainsi, en mécanique, la matière est spatiale, impénétrable, inerte, douée de masse. Le concept mécanique est complet de la sorte depuis Newton et sa précision est aussi grande qu’on peut le désirer.

Mais le physicien ajoute nécessairement à ces déterminations de nouveaux traits qui en défigurent la netteté. S’il consent à réduire à des mouvements tous les phénomènes qui affectent différemment nos sens, les forces ne lui apparaissent pas moins comme une propriété de la matière, soit qu’il admette d’ailleurs qu’elles s’exercent à distance, soit au contraire qu’il ne les conçoive que comme des actions de contact. Il constate de plus que les variations des forces de la nature sont soumises à des lois précises, mais comme ces forces ne sont en fait que des abstractions de l’esprit dont la forme n’offre rien de nécessaire, il n’arrive point à la déterminer d’une façon définitive. Ainsi, pour lui, chaque partie de la matière, inerte pour elle-même, est capable d’action sur les autres parties. Mais cette capacité d’action n’a qu’un caractère vague et scientifiquement insuffisant.

La chimie, en introduisant dans le problème de nouveaux éléments, l’a encore compliqué. Pour rendre compte de certaines lois qu’elle a découvertes, elle a fait adopter presque universellement la conception d’atomes, isolés dans le vide, pouvant posséder des propriétés différentes, et susceptibles de se grouper en raison de ces propriétés. Après un long triomphe, cette théorie est fortement ébranlée aujourd’hui par la tendance à rétablir le principe de l’unité de la matière, qu’elle nie en fait. Toutefois, jusqu’à présent, aucune nouvelle hypothèse n’a pu la détrôner et, tandis que la matière physique apparaît au plus sous deux formes distinctes, comme pondérable et impondérable, la matière chimique semble essentiellement multiple.

La diversité des modes d’action inhérents à la matière se complique encore, si l’on fait entrer en ligne de compte les phénomènes de la vie organique et spécialement ceux qui se rattachent aux sensations. Mais