Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/549

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
535
REVUE GÉNÉRALE.le concept de matière

la physiologie n’en est encore qu’à un stade descriptif et, si c’est peut-être à elle qu’il est réservé de dire le dernier mot sur le concept de matière, il semble qu’on doive l’attendre longtemps.

En résumé, à ce concept correspond dans l’imagination un système toujours concret, mais passablement indécis ; c’est un complexe de propriétés destinées à rendre compte de tous les phénomènes qui tombent sous les sens, étant admis cependant que, théoriquement, tous ces phénomènes, dans ce qu’ils ont d’objectif, sont réductibles à ceux du mouvement. Sans cette réserve, capitale à la vérité, ce schème ne réaliserait, semble-t-il, aucun progrès sur le réalisme naïf. On est donc tenté de le considérer comme sensiblement voisin de celui que pouvaient avoir les premiers penseurs hellènes.

Mais on oublie ainsi que le concept actuel, que les progrès de la science ont généralisé, n’est pas antérieur à ces progrès et qu’il s’est formé, comme par alluvions successives, sur un noyau de la constitution duquel deux siècles à peine nous séparent.

Avant le xviie siècle, époque de rénovation et par suite de transition, le concept dominant, sauf certaines modifications dues à l’influence des dogmes religieux, était celui d’Aristote, du philosophe qui avait créé le terme technique (ὕλη = materies).

Or la matière pour Aristote est un concept purement abstrait, auquel ne correspond aucun schème dans l’imagination. Car pour le Stagirite un tel schème n’eût représenté qu’une forme, et même la privation de la forme était conçue par lui comme distincte de la matière.

La profonde et judicieuse critique de M. Bäumker nous montre au reste que ce concept est loin d’avoir toute la netteté désirable. C’est qu’Aristote y arrive par deux procédés différents :

D’un côté, la matière lui apparaît comme le substratum des états susceptibles d’opposition ; de l’autre, il la regarde comme le possible qui arrive à l’être par le devenir. Suivant l’un ou l’autre de ces deux points de vue, il la considère soit comme un être qui relativement n’est pas (de telle ou telle façon), soit comme un non-être (en acte) qui cependant est relativement (en puissance). De là une certaine incohérence dans sa doctrine. Mais, en tout cas, la matière pure d’Aristote est simplement un objet de l’intelligence, elle n’a par elle-même aucune qualité qui tombe sous les sens.

Il est évidemment essentiel d’avoir exactement reconnu le caractère de ce concept aristotélique avant de chercher à comprendre comment la question se posait pour les philosophes antérieurs. Platon semble, le premier, l’avoir formulée avec quelque précision ; mais, comme il l’a traitée sans employer de termes techniques et en recourant même parfois à des expressions mythiques, sa véritable pensée est restée obscure et on a longuement discuté quel en était le sens réel.

Après une minutieuse réfutation des explications opposées, M. Bäumker se prononce pour la théorie d’après laquelle Platon n’aurait pas distingué entre la matière et l’espace vide, c’est-à-dire la simple exten-