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ANALYSES.a. van weddingen. Philosophie critique.

ne pas se considérer comme isolée dans l’univers, à peupler le monde d’autres êtres plus ou moins semblables à son moi ; si donc tout instinct est infaillible, celui-ci ne peut pas l’être moins que les autres et c’est à bon droit que nous pouvons conclure de l’existence de l’objectivité intérieure à la réalité extérieure.

Ainsi l’étude réfléchie du moi dans le mouvement de sa vie intérieure nous pousse à attribuer l’objectivité réelle à certaines de nos représentations. Si maintenant nous passons à l’étude de ces représentations elles-mêmes, nous verrons aussi qu’elles renferment une part considérable d’objectivité.

Cela est d’abord évident pour les sensations. Les travaux des psychologues et des physiologistes contemporains ont eu pour résultat de montrer qu’il y a dans toute sensation deux facteurs, l’un qui vient de la constitution psycho-physiologique du sujet sentant, l’autre qui ne peut se ramener qu’à des conditions physiques, ce qui donne pleinement raison à Aristote quand il disait : La sensation est l’acte commun du sentant et du senti.

Aristote n’a pas moins raison quand il attribue sans la moindre hésitation une valeur objective aux principes intellectuels. Qu’il s’agisse des concepts de l’espace et du temps, de nos principes intuitifs et immédiats, ou de nos jugements discursifs ou même de nos procédés de raisonnement, M. van Weddingen voit partout les mêmes raisons d’attribuer l’objectivité à la représentation. Il montre encore que la question de la certitude est bien moins logique qu’ontologique. La certitude est avant tout l’aperception d’un rapport évident entre deux représentations, mais les représentations et leurs lois ayant les unes et les autres une portée objective, il est clair que l’affirmation du rapport entre les idées a une portée objective extérieure à la représentation. Les phénomènes en effet révèlent la substance dont ils émanent. Ils sont dès lors objectifs et deviennent pour la raison la condition d’une connaissance objective. Quand le criticisme nie la valeur objective de la connaissance il nie en réalité les principes qu’il semble admettre. Il affirme en effet qu’il y a un ordre déterminé de nos pensées, des lois de la représentation, mais il nie en même temps que ces lois de la représentation d’après lesquelles nous constituons des objets aient aucune valeur ; n’est-ce pas affirmer d’une part que ces lois sont indispensables au fonctionnement de l’esprit et affirmer de l’autre que ces lois sont nuisibles à la juste évaluation des idées par l’esprit ? Or, n’y a-t-il pas là une irrémédiable contradiction ? Essayer de sortir du subjectivisme de la raison pure par les artifices de la raison pratique ce n’est que prolonger et aggraver la contradiction. Les principes de la raison pratique ne sont pas moins intérieurs à l’esprit que ceux de la raison pure. Nous n’avons aucune raison meilleure qui nous pousse à affirmer pratiquement les noumènes dont nous devons douter théoriquement. La conséquence légitime du relativisme kantien n’est pas la croyance, mais le doute. L’agnosticisme est le fils légitime du criticisme.