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ANALYSES.a. van weddingen. Philosophie critique.

par lui sur l’encyclique Æterni patris, nous trouvons ces lignes qui indiquent très exactement l’idée mère du livre que nous venons d’analyser : « Il y a en chaque faculté un facteur spontané qui préside, dirige et soutient son exercice : ce facteur n’est autre que la disposition prochaine de l’activité sensible, psychique ou volontaire à entrer en acte. Aristote s’inspire partout de ces idées, mais il ne les a pas poussées jusqu’à leurs conséquences suprêmes. S. Thomas montre dans l’objet des tendances instinctives la fin dernière de l’être, le but suprême de son activité, et il prouve que cette tendance ne saurait être vaine. De fait, les sciences naturelles nous apprennent que jamais dans aucune espèce vivante, on n’a constaté de besoin inné, d’aspiration universelle et primitive qui fussent sujets à l’erreur. La méthode scientifique toute fondée sur l’uniformité et l’analogie interdit d’excepter l’homme de cette universelle loi. Or, l’homme aspire à reconnaître, et l’aspiration de ses facultés les plus hautes le porte d’instinct vers un Être absolument infini. Dès lors une telle aspiration ne saurait être illusoire ni subjective. — Donc, c’est la conclusion de notre Docteur : — l’Infini existe en réalité. » Et M. van Weddingen ajoutait. « Ce passage du Docteur angélique nous paraît contenir toute une idéologie susceptible de développements considérables. »

C’est cette idéologie que l’auteur nous donne aujourd’hui. Sans vouloir entrer dans les détails, ce que la place dont nous disposons ne nous permet pas, nous tenons à faire quelques réflexions sur le fondement même de la thèse de l’auteur. C’est un retour hardi et savant à la fois à l’argument tiré du sens commun. Un instinct nous pousse à croire à des objets hors de nous, au monde et à Dieu ; les instincts sont infaillibles, donc le monde existe et Dieu existe. C’est bien là tout l’argument. Descartes l’avait déjà examiné dans la troisième méditation et il dit : « Pour ce qui est des inclinations naturelles, j’ai souvent remarqué, lorsqu’il a été question de faire choix entre les vertus et les vices, qu’elles ne m’ont pas moins porté au mal qu’au bien ; c’est pourquoi je n’ai pas sujet de les suivre non plus en ce qui regarde le vrai et le faux[1] ». Ainsi Descartes semble rejeter cette manière de raisonner et tous les modernes ont été de son avis sur ce point. Bien plus, Kant argüé de l’innéité même de l’inclination objective et de sa nécessité pour lui enlever toute valeur, ce qui a permis au brillant historien de l’idéalisme en Angleterre de voir en Descartes comme un pressentiment du criticisme[2]. Mais Descartes, en séparant à cet endroit même « l’inclination qui porte à croire de la lumière naturelle qui fait connaître ce qui est véritable », a indiqué en même temps que la faiblesse de l’argument le moyen d’y remédier. Si en effet l’inclination aveugle séparée de la lumière naturelle ne peut servir de base à aucune argumentation valable, il n’en est nullement ainsi quand la lumière se joint à l’inclination ou plutôt lorsque l’incli-

  1. Ed. Garnier, t.  I, p. 117
  2. L’idéalisme en Angleterre, par Georges Lyon, 1 vol.  in-8°, Alcan, 1889, p. 29.