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ANALYSES.r. p. maumus. Philosophie cartésienne.

ce saint Antoine de la psychologie que venait tenter et tourmenter « le démon de la géométrie ». En appliquant à la philosophie la méthode des mathématiques, lui donner une égale certitude, voilà le rêve de Descartes : une ambition si haute n’est plus à notre taille ; nous avons vieilli.

C’est une chose singulière que dans ce livre de très bonne foi je cherche vainement l’ennemi qu’il doit exterminer. Descartes en est absent. Je veux dire que sa doctrine n’est pas saisie dans ce qui fait aujourd’hui encore sa valeur, dans ce qui explique la séduction qu’au xviie siècle elle exerça sur les esprits. À la logique de la qualité substituer la logique de la quantité, au syllogisme la déduction mathématique, à la finalité le mécanisme ; considérer par suite la qualité non plus comme un terme dernier auquel l’esprit humain doive s’arrêter, mais comme un tout complexe, réductible à des éléments plus simples, étendue et mouvement, telle est l’œuvre propre de Descartes, ce qui fait que la science contemporaine par chacun de ses progrès la rajeunit. « Descartes, dit excellemment Huyghens, a mieux connu que personne avant lui qu’on ne pouvait rien comprendre en physique que ce qui peut être rapporté à des principes qui ne dépassent pas la portée de l’intelligence humaine, comme ce qui tient aux corps considérés indépendamment de toute qualité et à leurs mouvements. » Dissiper le mystère des formes, des causes occultes, ne s’arrêter qu’à des notions claires, distinctes, les combiner en découvrant leurs rapports, ne laisser que l’intelligible, donner au problème même de la vie (automatisme) la clarté d’un problème mécanique, voilà la grande ambition cartésienne. Toute science doit prendre la forme déductive.

J’admire saint Thomas : ceux qui croient que scolastique est synonyme de confusion et d’obscurité ne le connaissent pas. Son exposition a l’ampleur, une belle ordonnance. Mais s’il discute avec les autres, il ne discute jamais avec lui-même. C’est le triomphe du dogmatisme. Sa philosophie n’est pas la philosophie ; c’est celle d’Aristote qui n’est pas à dédaigner. On nous dit qu’elle est une philosophie positive a posteriori plus conforme aux procédés de la science que celle de Descartes, distinguo : l’induction des savants porte sur les rapports des phénomènes et se continue par l’effort pour mesurer ces rapports, pour revenir à la logique du nombre, de la quantité. L’induction de saint Thomas s’arrête aux idées générales, elle lui donne des définitions essentielles, des majeures de syllogisme ; son analyse s’arrête où commence celle des savants pour qui la qualité est un problème, non une solution.

Je crains bien que le thomisme soit condamné à rester une philosophie de séminaire. Il résout toutes les questions, mais en supposant tous les principes dont il a besoin pour les résoudre. Le progrès dialectique n’est qu’apparent. On a la vérité avant même de l’avoir cherchée. S’agit-il d’établir que l’âme est spirituelle ? Ce n’est pas là un problème qu’on aborde avec le désintéressement scientifique ; c’est une solution acceptée d’avance, une vérité admise dont il n’y a qu’à définir les conditions pour