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philosophie. Dans l’exemple choisi, personne ne cherche à faire d’une question logique ou de simple définition : qu’appelons-nous un bâton ? un problème de physique et encore moins de philosophie générale. Mais la matière est divisible à l’infini au même titre et pour les mêmes raisons qui font qu’un bâton possède nécessairement deux bouts. Comme problème de logique, l’antinomie en question n’existe pas.

Les deux problèmes connexes de l’action à distance et de l’existence du vide matériel ont également pris la forme d’un dilemme sans issue possible. Si le vide n’existe pas, la compressibilité est inconcevable, et si on admet le vide, on ne conçoit plus la transmission mécanique du mouvement. Une foule d’hypothèses variées, l’atomisme de Démocrite, l’attraction de Newton, les monades inétendues de Leibniz, les centres de force de Boscowich, bien d’autres explications encore ont vainement cherché à vaincre cette double inconcevabilité. Malgré les efforts réunis des philosophes, des mathématiciens, des physiciens, voire même, en ces derniers temps, de quelques chimistes renommés, l’antique antinomie du vide est restée, dans sa sombre et repoussante grandeur, maîtresse absolue du terrain de la lutte. Résistera-t-elle à l’attaque combinée des biologistes, des psychologues et des sociologistes ?

C’est le secret d’un avenir que nous estimons prochain. Aujourd’hui on ne peut qu’indiquer d’une façon générale les raisons qui parlent en faveur d’une solution purement psychologique du problème du vide et des problèmes connexes de la matière, de la force, du mouvement. Ces problèmes ont eu la mauvaise fortune de tomber sous le coup d’une double confusion. On les a soustraits aux investigations de la science spéciale correspondante pour en faire des problèmes philosophiques, et on s’est ingénié, en outre, à leur donner la forme extérieure de problèmes physiques, chimiques, mécaniques. Un certain nombre de savants les ont même traités à fond comme tels, et ces tentatives n’ont pas été les moins malheureuses. Mais l’insolubilité d’un problème ne provient pas uniquement de ce qu’on l’étudié d’emblée d’une façon générale ou philosophique, elle est encore souvent la conséquence naturelle de l’erreur qui consiste à transposer une question dans un domaine spécial qui lui est étranger.

L’antinomie du vide a sa place marquée dans cette science qui n’existe encore que de nom, la psychologie des concepts abstraits, et elle n’est peut-être elle-même qu’un aspect particulier d’une autre antinomie. Le vide, l’atome, la force, sont, comme leurs synonymes probables, comme le néant, comme la matière, comme l’infini, non pas des faits de physique et de mécanique, mais des