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E. DE ROBERTY.antinomies et modes de l’inconnaissable

conceptions « surabstraites », pour ainsi dire, de notre esprit. C’est en partant de faits concrets qui, eux, appartiennent incontestablement, les uns à la physique, les autres à la chimie ou à la mécanique, que ces concepts ont été construits. Mais c’est là la loi commune : il n’y a pas d’abstraction un peu générale qui n’ait, pour source éloignée, des faits étudiés par les sciences du monde inorganique. Personne cependant ne voit dans cette origine de la plupart de ces idées une raison suffisante pour consacrer un chapitre spécial, en histoire naturelle, à l’étude de l’hippogriffe, par exemple, ou pour faire de Dieu — malgré la parenté évidente de ce concept avec l’idée de travail ou de totalité — l’objet d’un problème de mathématique. Comme abstractions « surarbitraires », les idées de vide, d’atome, de force et de mouvement dépassent la capacité « conceptive », si je puis m’exprimer ainsi, de la mécanique, et reviennent de droit à la psychologie, considérée non plus comme une branche de la philosophie ou même comme la philosophie tout entière, mais comme une science des plus spéciales. Pour s’en convaincre, il suffirait, au besoin, de se rappeler que c’est principalement à l’égard des abstractions de ce genre qu’il y a lieu de poser, au préalable, la question de savoir si elles ne servent pas à cacher des illusions mentales d’autant plus subtiles qu’elles sont plus inconscientes ? Imaginez, en effet, que ces illusions soient dévoilées un jour comme l’ont été certaines illusions visuelles, tactiles, auditives : que deviennent, dans cette supposition, nos théories les plus célèbres sur les atomes, les forces, les centres d’énergie ? Or, la doctrine des illusions, aussi bien que la doctrine de l’absurde, sont manifestement de simples chapitres de la psychologie concrète.

Les difficultés que soulève le problème du vide sont de même nature que celles qui s’attachent au problème de la divisibilité infinie de la matière. Toutes ces hypothèses viennent également se heurter contre l’antinomie de l’infini, sous la forme soit de la divisibilité, soit de la masse infinie de la matière ; et leur incompréhensibilité disparaîtrait certainement avec l’incompréhensibilité du contraire de l’un de ces deux concepts. Or de quoi dépend ou comment s’explique que nous ne puissions, en effet, concevoir leur contraire ? D’où vient cette impuissance, et pourquoi serait-elle congénitale ou organique ? N’est-elle pas plutôt un simple phénomène d’inconscience ou d’inattention, ou une illusion qui prend sa racine dans un manque involontaire de mémoire ? N’oublions-nous pas constamment, en effet, qu’en parlant du vide nous avons affaire, en réalité, à l’idée de vide en général, qui est le synonyme de l’idée de néant, qui est, à son tour, la négation fausse de l’idée d’être ; qu’en parlant de compres-