Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
574
revue philosophique

sibilité, nous avons en vue l’idée de compressibilité en général, synonyme de l’idée de résistance qui, à son tour, est la négation voilée de l’idée de matière ? Et n’oublions-nous pas exactement la même chose par rapport à l’atome, à la force, au mouvement[1] ?

Une catégorie particulièrement intéressante d’antinomies est formée par les hypothèses contradictoires qui ont un caractère biologique et psychologique très apparent et qui, néanmoins, sont transposées dans la philosophie, où on les considère à des points de vue empruntés indistinctement à toutes les sciences. Tel est, par exemple, le problème prétendu insoluble de la transformation de la force mécanique en sensations ou en idées, et vice versa ; ou le problème du commencement et de la fin de la conscience, du premier et du dernier état de conscience qui ne peuvent, dit-on, être saisis par nous pour cette double raison que personne ne se souvient de son premier état de conscience, et que l’impression que nous croyons être la dernière est, en réalité, l’avant-dernière ; ou le problème de l’âme envisagée comme le substratum d’une succession interrompue de sensations et d’idées ; ou le problème du sujet-objet, du moi se percevant lui-même, etc. Il n’y a qu’une remarque à faire à propos de toutes ces questions. Notre ignorance en ce qui les touche est actuellement bio-psychique et psychologique ; et on ne saurait les résoudre sans recourir à une théorie élaborée des illusions mentales reposant, à son tour, sur une connaissance exacte des lois de la formation et de la transformation des concepts abstraits. Les agnosticistes le reconnaissent implicitement. Que l’homme ramène tous les faits physiques à des manifestations de la force dans l’espace et dans

  1. Le mouvement est-il apparent ou réel ? Est-il possible qu’un mouvement observé soit annulé, en réalité, par le mouvement en sens contraire, mais demeuré inaperçu du système qui contient le mobile observé ? Le mouvement n’est-il jamais que particulier et relatif ? Le mouvement général et absolu existe-t-il, ou n’est-il que son contraire le repos ? La cessation absolue du mouvement n’est-elle pas la négation de la loi de continuité ? Ces questions sont autant d’exemples de la confusion de l’abstrait et du concret, autant de problèmes dont la forme « surgénérale » et « surabstraite » constitue la spécificité propre et qui certainement appartiennent ni à la mécanique, ni à la physique, et encore moins à la philosophie.

    On dira peut-être que cette manière d’envisager les choses ne fait qu’ajouter une obscurité de plus à l’obscurité qui nous enserre de toutes parts. Les antinomies, comme toutes les erreurs de l’esprit humain, font tache d’huile, elles envahissent, par la philosophie, tous les domaines scientifiques.

    Un spiritualiste de mérite n’a-t-il pas soutenu dernièrement, que la tendance actuelle de la science exacte était de faire disparaître devant notre esprit l’incontestable matière, comme la muscade aux doigts d’un escamoteur ? Mais dans ces conditions, remplacer l’obscurité vague, générale, philosophique, par une obscurité spéciale, bien délimitée, restreinte à un coin inexploré de la connaissance, n’est-ce pas encore une façon de faire un peu de lumière ?