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présent, les philosophes ont usé d’un procédé qui n’a guère profité à la philosophie. Il a consisté à faussement classer certains problèmes particuliers, à arbitrairement transposer les questions scientifiques. Les antinomies ont été la conséquence inévitable de cette méthode fautive ; elles ont, d’ailleurs, en souvent cette utilité, d’arrêter à temps les divagations des philosophes. Elles ont été, en ce sens, les véritables garde-fous de la philosophie.

Nous avons donné plus haut quelques exemples populaires de ces contradictions de la pensée abstraite. Mais aucun cas, peut-être, n’est plus propre à manifester la double erreur si souvent commise par les philosophes, que celui dont nous allons dire maintenant quelques mots.

Toute philosophie est un choix rationnellement motivé entre les différentes hypothèses possibles sur l’origine et la fin ou la raison d’être du monde. À ce point de vue, ce ne sont plus les abstractions scientifiques dernières, le mouvement, la force, la vie, la conscience, c’est la somme totale de ces propriétés plus ou moins générales des choses, c’est le monde ou l’univers qui devient le but ou l’objet des hypothèses philosophiques. Mais si, dans tous les cas précédents, on pouvait déjà adresser à la philosophie empiétant le domaine du savoir particulier, le reproche de confondre l’objet propre de la psychologie, son objet matériel pour ainsi dire, avec l’objet nominal des autres sciences, avec les signes conventionnels servant à désigner, dans la notation ou nomenclature abstraite des choses, les caractères identiques des faits ou des événements étudiés par la mécanique, la physique, la chimie, la biologie et la sociologie, — à plus forte raison la même objection doit-elle atteindre la philosophie s’occupant de l’univers tel quel, c’est-à-dire d’une réalité non seulement du même ordre que le nombre, la matière, la force, le temps, l’espace, la vie, etc., mais qui, en outre, a ceci de particulier, qu’elle sert à représenter ou à résumer toutes ces idées prises ensemble. Et n’est-il pas évident, dès lors, que les hypothèses que la philosophie pourra imaginer sur l’origine et la raison d’être d’une telle abstraction — qui, soit dit en passant, a une foule de synonymes dont « l’infini » et « l’existence » sont des exemples connus — que ces hypothèses, dis-je, devront nécessairement demeurer arbitraires et invérifiables, tant qu’elles resteront ce qu’elles sont, tant qu’elles ne se transformeront pas en hypothèses psychologiques qui consisteront simplement à se demander comment naissent, dans le cerveau humain, et comment y finissent les concepts abstraits, les idées générales.

En attendant, la nomenclature des antinomies aura été enrichie d’une nouvelle et intéressante catégorie. Historiquement, cette caté-