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E. DE ROBERTY.antinomies et modes de l’inconnaissable

gorie aura même précédé toutes les autres. Le concept de l’univers a été formé par l’humanité la plus primitive. Il a présidé à toute cette portion de l’évolution mentale par laquelle la religion n’était guère distinguée de la philosophie. À ce point de vue, la question de l’origine et de la fin des choses peut être justement appelée le problème religieux ou théologique par excellence. Ce problème a toujours abouti à l’antinomie qu’on peut également appeler religieuse ou théologique et qui consiste dans l’impossibilité manifeste de vérifier l’une quelconque de ces trois hypothèses : ou l’univers a été créé par une cause qui lui est étrangère ; ou il s’est créé lui-même ; ou il existe par lui-même sans création aucune (théisme, panthéisme, athéisme). L’impossibilité évidente de résoudre le problème religieux en faisant appel aux lois de la logique, en écartant définitivement deux solutions pour consacrer ou sanctionner, eo ipso, la troisième, est précisément ce qui constitue son incompréhensibilité, ce qui lui donne le caractère d’une contradiction radicale de l’esprit. C’est là l’objection principale de laquelle se détachent, comme autant de branches d’un tronc unique, les objections qui s’adressent à chaque solution en particulier et qui disparaîtront d’elles-mêmes devant une théorie scientifique des concepts abstraits : comment une cause étrangère à la matière a-t-elle pu tirer, de rien, la matière ; comment un être peut-il se créer lui-même, sans exister virtuellement avant d’exister réellement, et l’existence virtuelle, distinguée de l’existence réelle, n’est-elle pas le pur néant ; comment, enfin, exister par soi-même sans avoir un passé infini ?

II. — Le monisme.

La philosophie de nos jours a suivi la tradition de toutes les religions et de toutes les métaphysiques, et l’agnosticisme est devenu son dogme fondamental. L’évolutioiinisme surtout est remarquable à cet égard. Il a porté l’erreur ou la confusion à son point extrême. Il nous montre l’ignorance et le savoir courant aux mêmes abîmes, aboutissant aux mêmes mystères ; il vient, à son tour, accabler la science sous le reproche que les philosophes réservaient naguère à la religion seule, l’accusation de n’être qu’une expression ou une forme de notre profonde et incurable nescience. La thèse de fidentité des contraires n’a jamais, en vérité, remporté de triomphe plus éclatant.

Cette identité — ou ce monisme, pour lui donner le nom qu’il porte dans le langage philosophique — est un fait réel, incontestable ; il se manifeste, il prend corps, sous certaines conditions, dans tout