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Le monisme est lui-même une grande vérité d’ordre psychologique, c’est précisément ce qui le rend propre à la démonstration de l’erreur. C’est par contraste que nous jugeons, et le noir ne nous paraît vraiment noir que lorsqu’il est placé à côté du blanc. Les philosophes les plus monistes sont ceux qui peuvent le moins nous cacher le caractère profondément métaphysique de leur philosophie. Et les moins monistes, au contraire, sont ceux qui se dérobent le plus facilement, par ce côté de leur doctrine, aux attaques de la critique. Tels, dans la philosophie du siècle qui va finir, ont été Kant et surtout Comte. Il est d’autant plus difficile de les convaincre de métaphysique, qu’il est plus malaisé de découvrir leur monisme. Au contraire, Spencer, qui est un moniste déclaré, est le plus exposé au reproche d’être profondément imbu de l’esprit métaphysique. Son monisme devient, sans qu’il le veuille ou le sache, l’objection la plus écrasante qu’on puisse adresser à son agnosticisme. C’est un témoin qu’il suffit de faire apparaître dans la discussion des thèses agnostiques, pour les voir aussitôt se réfuter elles-mêmes.

Résumons brièvement les critiques de cette sorte. La matière, la force, la pensée sont autant de modes de l’incognoscible. Un lien de proche parenté unit entre eux ces modes. Nous ne pouvons rien connaître de la nature intime de la matière, de la force, de la pensée, mais nous devons croire que la matière, la force, la pensée ont une nature intime identique, « Ces modes de l’incognoscible, dit M. Spencer, que nous appelons mouvement, chaleur, lumière, affinité, se transforment l’un en l’autre, et se transforment aussi en ces autres modes de l’incognoscible que nous appelons sensations, émotions, pensée. » Voici déjà deux séries d’affirmations qui s’excluent mutuellement.

M. Spencer nous répète par deux fois que A = A, et nous assure en même temps qu’il ne sait rien ni du premier A, ni du second, que tous deux demeurent absolument impénétrables, qu’il y a là un mystère qui se transforme en un autre, voilà tout. Par malheur pour M. Spencer et pour son école, il existe une science appelée algèbre, une science qui enseigne qu’on ne peut affirmer que A = A, qu’au cas où l’on s’est préalablement assuré, par les moyens les plus directs et les plus vulgaires — si l’on veut en comptant sur les doigts — ou par des méthodes très raffinées et délicates, mais qui, toutes, se réduisent à l’unique méthode directe, que le premier A est égal à 5, par exemple, et que le second A n’est ni 7, ni 12, mais bien 5 aussi. Et le malheur est qu’il y ait une autre science appelée logique et fortement soupçonnée de n’être qu’une algèbre appliquée à des cas très complexes, qui enseigne, elle aussi, exactement la même chose. De