Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/595

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
581
E. DE ROBERTY.antinomies et modes de l’inconnaissable

sorte que le monisme et la croyance à l’incognoscible se contredisent mutuellement et forment une dernière antinomie à laquelle l’école évolutionniste n’avait certainement pas songé. Il est illogique d’affirmer simultanément l’identité de tous les phénomènes et leur incognoscibilité. L’identité est le terme suprême de la cognoscibilité. L’identité en général est la cognoscibilité en général. De sorte encore que si l’on séjourne trop longtemps sur ces cimes élevées de l’abstraction pure, on court manifestement le danger, prévu par la loi de l’identité des contraires, de tomber platement dans l’illusion qui consiste à prendre la négation fausse de l’identité ou de la pure connaissance, l’incognoscible, pour quelque chose de réellement distinct, de réellement séparé du connaissable.

M. Spencer a ouvertement versé dans cette erreur. Il fait partie, sous ce rapport, du grand groupe philosophique qui compte dans ses rangs Hegel, Schopenhauer, Fichte, Leibniz, Spinoza, Giordano Bruno, Platon, tous les philosophes qui n’ont pas craint de s’imposer la tâche difficile de corriger l’agnosticisme par le monisme, un excès de prudence par un excès de témérité. À ce groupe s’oppose naturellement l’école nombreuse et non moins florissante, à laquelle appartiennent Aristote, Bacon, Locke, Hume, Kant, Comte, tous les penseurs dont le monisme est moins catégorique, moins affirmatif, et dont l’agnosticisme nous semble, par suite, plus rationnel ou mieux motivé. C’est qu’en effet, il est logiquement moins défectueux.

E. de Roberty.