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A. BINET.perceptions d’enfants

distance d’un objet éloigné, qu’il n’a pas l’habitude de toucher, comme un toit ou un clocher. Les perceptions exactes n’ont lieu que pour le milieu qui est à sa portée ; le développement de ses facultés est réglé par le besoin pratique.

Nous allons examiner maintenant de nouvelles formes de perception, en insistant particulièrement sur celles qui exigent un certain travail d’interprétation.

La perception des couleurs.

Méthode d’appellation. — Essayons d’abord de nous rendre compte de la marche qu’il faut suivre pour étudier la perception des couleurs chez les jeunes enfants. Les recherches les plus complètes qui aient été faites sur ce point sont celles de M. Preyer ; il employait plusieurs méthodes ; il commença par répéter plusieurs fois le nom d’un petit nombre de couleurs en plaçant devant l’enfant chaque fois la couleur correspondante, puis il demandait à l’enfant : où est le rouge ? où est le vert ? et ainsi de suite ; la réponse, correcte ou non, était inscrite.

Ce fut la première forme donnée à l’expérience ; plus tard, lorsque l’enfant eut été familiarisé avec ces essais, et se fut montré capable de distinguer plusieurs couleurs, M. Preyer changea son procédé : il plaça les couleurs successivement devant l’enfant, en lui demandant ce que c’est que cela ? Et l’enfant devait les nommer. Les couleurs employées consistaient en ovales colorés qu’on renfermait dans une boîte ; au bout d’un certain temps, M. Preyer permit à l’enfant de choisir lui-même dans la boîte les couleurs à nommer ; parfois il lui donnait le nom d’une couleur et le priait de la découvrir dans la boîte.

Toutes ces épreuves ont pour trait commun d’exiger l’intervention du langage et le souvenir du nom des couleurs. Je leur donnerai le nom de méthode d’appellation. M. Preyer convient lui-même que des expériences de cette sorte ne donnent pas l’état exact de la perception des couleurs ; car pour qu’elles réussissent, il faut que l’enfant ait appris à associer l’idée du mot « rouge » et du mot « vert » par lui entendu à celle de la couleur correspondante, et peut-être ce travail particulier d’association devient possible à une époque bien postérieure à celle où l’enfant sait déjà distinguer le rouge du vert[1]. Mais d’autre part, M. Preyer semble penser que

  1. L’âme de l’enfant, p. 6.