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à fait exceptionnelle ; elle dit bien plus fréquemment : C’est à Zizite.

Peu à peu les pronoms personnels se sont introduits dans ses phrases, mais ils n’ont pas été employés tous à la fois. À deux ans trois quarts, elle emploie couramment toi et moi, mais, détail curieux, elle n’en fait qu’une application toute spéciale. Par exemple, le pronom moi figure dans des phrases comme celle-ci : « Moi y va courir… Moi y va faire tout de même. » Moi fonctionne alors comme sujet de la phrase. Mais elle ne dit point : « C’est à moi, c’est pour moi » ; elle préfère dire : « C’est à Zizite, c’est pour Zizite ».

Trois mois après, quand elle atteint ses trois ans, son langage se perfectionne encore. J’écris mot pour mot un grand nombre de ses conversations avec sa sœur, et je puis étudier sur ces documents les moindres nuances de son langage ; tout en regrettant de ne pas m’étre avisé plus tôt de ce procédé d’observations, je vais indiquer en quelques mots les renseignements qu’il m’a fournis.

Pour désigner des personnes qui ne sont pas présentes, elle dit correctement II ou elle, ou on. Ainsi, sa sœur lui dit : « Père est malade. » Elle répond : « Pauvre petit père, il est malade ; il faut se coucher quand on est malade. »

Elle emploie aussi correctement le pronom nous. Une petite bribe de conversation le montre bien. Les deux petites filles sont au lit, sans lumière ; elles bavardent. L’aînée dit : « N’est-ce pas, il y a des rats par terre ? » — La cadette, ne comprenant pas bien, réplique : « Oui, nous sommes par terre. » — L’aînée alors : « Non, nous ne sommes pas par terre, car ils nous mangeraient. » — La cadette : « Nous sommes dans notre lit. » Je pourrais citer vingt autres exemples. Chose curieuse, les seules imperfections de langage qui lui restent concernent la désignation de la première et de la seconde personne au singulier. Il semble qu’elle ait plus de peine pour les désigner que la troisième personne.

Pour la seconde personne, les irrégularités se réduisent du reste à très peu de chose. Tantôt, elle dit tu à sa sœur : « Tu mettais de la terre dans un petit vase… Tu vas être toute petite demain matin. » Tantôt tu es remplacé par toi, comme dans la phrase : Toi n’as pas de poupées. » De même, te peut être remplacé par toi : « Va parler à toi », mais ce n’est pas constant. En somme, elle parvient en général à désigner assez correctement la seconde personne.

Mais en ce qui concerne la première personne, les fautes contre la grammaire sont considérables. L’enfant emploie plusieurs désignations, dont la plupart sont incorrectes ; elle les emploie soit alteinativement, soit simultanément. Ainsi, elle se désigne encore le plus souvent par son nom : et la chose est d’autant plus frappante que