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de l’imitation ; ce n’est donc pas, comme on l’a pensé, un phénomène négligeable. C’est quelque chose d’original et de propre à l’enfant. Voilà ce que je considère comme bien établi par les observations que j’ai faites.

À trois ans et deux mois, exactement, la petite fille fait usage pour la première fois du mot je. Elle prononce la phrase suivante : « Je ne sais pas. » Plusieurs fois dans la journée elle répète cette phrase ; mais, en même temps, elle continue à se désigner par son nom dans d’autres phrases. Deux jours après, elle trouve un nouvel emploi du je ; elle dit : « Je ne veux pas » pour refuser quelque chose qu’on lui demande de faire. Assurément, elle comprend qu’elle parle d’ellemême, mais quand je lui demande ce que veut dire ce mot je, si nouveau dans sa bouche, elle répond qu’elle ne sait pas. Du reste, sa sœur aînée, maintenant âgée de quatre ans onze mois, ne peut pas en dire davantage. « Quand tu dis : je mange, lui demande-t-on, que veut pire le mot je ? » — Elle répond : « Cela veut dire jouer » ; et si on lui explique l’inexactitude de sa réponse, elle ne peut pas en trouver d’autre.

Notions de choses.

Les objets du monde extérieur sont des touts complexes, qui nous donnent un grand nombre de sensations et d’idées, variables d’un individu à l’autre. C’est un lieu commun de remarquer que l’objet le plus simple n’est pas vu par deux personnes de la même façon. Quand un ignorant, un peintre et un botaniste regardent la même fleur, chacun tire de sa sensation un état de conscience différent.

Je pense qu’il serait intéressant de savoir comment les enfants perçoivent et se représentent les objets qui leur sont familiers, et quelles sont les particularités qui les frappent le plus dans le monde extérieur. J’ai donc fait plusieurs observations à ce sujet sur les deux petites filles que j’étudie. Je les ai prises à part, chacune à son tour, et je lui ai demandé de me dire bien exactement ce que c’est que tel objet bien connu, par exemple une table, un couteau, une poupée. Je n’insiste pas sur les précautions indispensables, comme d’empêcher l’enfant de raconter des choses drôles, pour faire rire ; on s’aperçoit assez facilement si la réponse est sérieusement faite ou non. Mon meilleur moyen de contrôle a consisté à reprendre les interrogations après avoir laissé écouler un temps suffisant pour que l’enfant eût tout oublié, demande et réponse. J’ai interrogé chacune des petites filles une quinzaine de fois sur chaque objet dans le cours d’une année, et j’ai même laissé un intervalle