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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

raire et historique : c’est ce que M. Sorel appelle l’étude profane de la Bible, d’autres ont dit l’étude laïque. Oui, un enseignement public qui continue de traiter comme une « quantité négligeable » les livres sacrés, manque à l’une de ses plus impérieuses obligations.

Cela dit, l’auteur sera le premier à reconnaître que, à bien des égards, il n’était pas encore complètement armé pour sa tâche. C’est ainsi qu’il propose des combinaisons assez compliquées sur les origines juives, distinguant plus encore qu’on ne l’a fait jusqu’ici entre les tribus du Nord et du Sud et leur prêtant des conceptions religieuses très différentes. Or des constructions de cette nature sont bien artificielles et l’on voit déjà se dessiner un mouvement de réaction contre la tendance à multiplier les types religieux d’après la distinction des documents entrés dans la composition des livres bibliques. En tout état de cause, la rédaction de ces divers textes est beaucoup trop distante des événements pour rendre plausible toute hypothèse sur les temps d’un Saül ou d’un David, à plus forte raison sur les époques antérieures.

M. Sorel a également abordé la question des Évangiles et il plaide la cause de l’Évangile selon saint Jean, dont l’historicité, on le sait, a été si vivement attaquée par les écoles d’exégèse. Nous croyons qu’il va trop loin dans cette voie, mais nous reconnaissons que l’on s’est trompé quand on s’est imaginé pouvoir retrouver dans les trois premiers Évangiles les traces d’un « protévangile », écho immédiat des événements. Toutes ces questions sont du plus vif intérêt et de la plus grande portée. Les personnes dont on écoute la voix en matière d’enseignement public croient devoir, soit par conviction, soit par tactique, les ignorer et les méconnaître. Nous sommes heureux que, de temps en temps, une voix s’élève pour protester contre d’aussi coupables calculs ou contre un aussi incompréhensible aveuglement.

M. G. Sorel est encore l’auteur d’une étude assez développée, intitulée : Le procès de Socrate, avec le sous-titre suivant : Examen critique des thèses socratiques[1]. C’est là un sujet qui, à quelques égards, sort du cadre de la présente analyse et sur lequel d’ailleurs nous nous sentons peu compétent. L’auteur s’est proposé avant tout d’exposer les idées de Socrate en matière de morale et de droit ; il les croit dépourvues d’un fondement solide. M. Sorel est évidemment un esprit curieux, hardi, qui se joue avec aisance dans le dédale des problèmes les plus délicats. Est-il trop sévère, n’est-il que juste quand il écrit : « Socrate a confondu la morale, le droit et la science, ce qui conduit à n’avoir en morale que le probabilisme, en politique que l’arbitraire ? » M. Sorel dit encore : « Puisque Socrate découvrit le vice des raisonnements des sophistes, qu’il ruina leurs écoles pour toujours, pourquoi ne parvint-il pas à asseoir sa morale sur des bases solides ? Le problème était-il soluble ? Par quoi pouvait-on remplacer

  1. Chez Félix Alcan, in-12, 396 p.