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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

est s’attirer son hostilité, et de la laisser enseigner par le prêtre. Donc la Bible ne sera point. Donc le bachelier es lettres, le licencié, l’agrégé de l’Université parleront doctement de Xénophon, de Virgile et de Corneille ; mais, si on nomme devant eux Isaïe ou si l’on cite le livre de la Genèse, ils commettront, sans que nul y trouve à redire, les méprises les plus grossières, les anachronismes les plus monstrueux. Nous répétons que ceux qui vont criant tout haut : Nous imitons l’Allemagne, nous imitons l’Angleterre ! ne présentent qu’une contrefaçon dérisoire de ce qui se passe dans ces deux pays. Ils nous servent la noix après avoir enlevé l’amande.

Revenons à M. Fischer et à sa recherche des rapports de la morale chrétienne et de l’Ancien Testament. Celui-ci a été, de la part d’un certain nombre de théologiens, l’objet, sinon d’attaques proprement dites, au moins de très sérieuses réserves. Schleiermacher et son école prétendent que le système de l’éthique chrétienne ne doit pas accorder une valeur normative aux écrits sacrés du judaïsme ; ces livres n’ont qu’une valeur passagère, ils ne sont que la préface du christianisme. Le chrétien n’y trouvera qu’une conception incomplète de l’idéal moral et cet idéal n’apparaît dans tout son éclat qu’avec la personne du Christ et dans les livres du Nouveau Testament. C’est visiblement rabaisser les écrits prophétiques non moins que la loi dite de Moïse. Une autre école, celle de Rothe, accorde que le dogme n’est arrivé à son achèvement que dans le Nouveau Testament, mais déclare que la Bible, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, doit être tenue pour une source de pures leçons morales, que les directions sur la conduite humaine peuvent être puisées concurremment dans les parties spécifiquement juives et dans les portions spécialement chrétiennes. Enfin, un troisième groupe de moralistes a cherché une sorte de compromis ou de terrain de conciliation dans l’idée de « l’évolution historique du royaume de Dieu sur la terre ». Voilà une expression que j’entends fort bien, mais qui doit paraître fort peu claire à mes lecteurs : je vais tâcher de la leur faire comprendre. On appelle royaume de Dieu l’organisation idéale que l’on rêve pour l’avenir des sociétés humaines et du monde en général. Or cette conception n’atteindra pas du premier coup à sa perfection et Dieu lui-même ne veut la réaliser que d’une ma-nière progressive. L’Ancien Testament offre donc une notion du royaume de Dieu ou de l’organisation idéale du monde, que restreignent certains éléments de particularisme national ; c’est avec le christianisme que l’idéal social et religieux se dépouille et se débarrasse de tous les impedimenta. Donc la Bible juive devra être éclairée à la lumière du Nouveau Testament ; elle représentera les solides assises du monument dont l’Évangile est le couronnement. Nous ne dissimulerons pas, pour notre part, qu’il y aurait pas mal à redire sur ces distinctions et ces catégories. Nous ne sommes pas avec ceux qui dénigrent et rabaissent la Bible juive ; car nous estimons que l’inspiration morale de la Genèse, du Deutéronome et des livres prophétiques