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nouvelle de la connaissance que notre monde réel n’a pas une réalité absolue, mais qu’il n’est qu’une apparence phénoménale. » On ne peut donc se fonder sur le caractère de la réalité sensible pour contester la vérité du monde idéal. Il suffit d’analyser le travail de l’esprit auquel nous devons l’une et l’autre, pour concevoir que tous deux ont leur racine dans une même libre synthèse de l’esprit, dérivent du même besoin d’unité et d’ordre. « L’unité, qui relie les faits pour en former une science, et combine les sciences pour en construire un système, est un produit de la libre synthèse et découle de la même source que la création de l’idéal. » Mais, tandis que l’esprit, dans les synthèses idéales de l’art, de la religion, dispose librement de la matière sur laquelle il travaille, la synthèse scientifique s’exerce sur une matière étrangère, et se borne à établir la plus grande unité possible entre des facteurs indépendants de notre volonté. Le métaphysicien n’est pas absolument libre non plus dans ses constructions systématiques. S’il n’est pas asservi comme le savant, au contrôle rigoureux de l’expérience, il ne peut cependant se mettre en désaccord avec les témoignages et l’autorité de l’expérience. Il va plus loin qu’elle : il ne saurait la contredire. Entre la science et la métaphysique, il ne doit donc pas exister d’opposition.

Voilà pourquoi la métaphysique est impérissable comme la science. Kant a sans doute condamné l’effort de la métaphysique pour atteindre d’une science certaine les derniers fondements de l’être, parce qu’il jugeait la tentative chimérique. Mais il n’en reconnaît pas moins que la métaphysique répond à un besoin invincible de l’esprit.

Quelle sera cette métaphysique ? Elle devra donner avant tout satisfaction à nos instincts supérieurs de beauté et de justice. « C’est en ce sens qu’on peut dire sans doute, avec Strauss, que toute vraie philosophie est nécessairement optimiste. » Il faut s’habituer à mesurer la valeur de l’idée métaphysique au prix esthétique et moral que l’imagination ou la conscience lui reconnaissent.

Si nous cherchons à définir cette métaphysique de Lange, il nous en faut chercher les traits épars dans tout son ouvrage. Il nous la fait pressentir, plutôt qu’il ne nous l’expose. Ses brèves affirmations laissent subsister bien des lacunes et présentent de graves contradictions.

Une chose est certaine cependant : c’est que sa métaphysique s’inspire des grandes doctrines du passé. Elle n’en diffère essentiellement, que parce qu’elle a définitivement renoncé à la certitude théorique, et ne revendique qu’une vérité de croyance et de senti-