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et la sensation centrale du cerveau sur laquelle s’appuie la conscience du moi, ou, en d’autres termes, que les choses se passent comme si les sensations périphériques n’avaient pas sur l’organe cérébral tout leur retentissement accoutumé. On sait que toute sensation offre à la conscience deux points de vue à considérer : celui de sa localisation en un point quelconque du corps, et celui du rapport immédiat qu’elle affecte avec la conscience centrale ou cérébrale par l’intermédiaire des cordons nerveux. Or il est d’observation que nous ne pouvons pas prêter en même temps à la sensation périphérique une attention égale d’une part à sa localisation, d’autre part à son rapport avec la conscience cérébrale du moi ; ce qui revient à dire que toute sensation affecte la conscience dans deux conditions dont l’une a son maximum d’intensité quand l’autre a son minimum et réciproquement, d’où il suit que toutes deux ne peuvent à la fois être en prépondérance dans la conscience. Et il arrive que la sensation en tant que périphérique s’élève à un tel maximum d’intensité que la conscience cérébrale du moi y absorbe pour ainsi dire toute son activité, et paraît comme transportée à la périphérie. Dans d’autres cas c’est la conscience du moi dans sa forme cérébrale qui acquiert un maximum d’intensité, par suite duquel la conscience du moi dans sa forme périphérique s’abaisse à un minimum proportionnel.

Pour revenir au malade et à son état psycho-physiologique, nous avons vu qu’il conservait la conscience du moi dans sa forme cérébrale et que seule la conscience du moi dans sa forme périphérique paraissait modifiée. Est-ce à dire que les sensations provoquées à la surface de son corps ne l’affectaient pas comme siennes ? Je dois établir ici une distinction conforme aux faits observés, suivant que l’attention du malade était occupée et attirée au dehors par un acte quelconque tel que celui du pansement et par les paroles que je lui adressais, ou au contraire qu’il demeurait livré à ses propres réflexions. Dans le premier cas ses sensations périphériques l’affectaient parfaitement comme périphériques et comme siennes. Dans le second cas il croyait, tout en gardant au fond la conscience du moi, être un autre ou dans le corps d’un autre ; cette croyance, phénomène présentatif dans ce second cas, se représentait encore à lui dans le premier et il la conservait dans la mémoire, car alors il avouait reconnaître que c’étaient des chimères qu’il se créait. Ici, là conscience générale du moi reprenait son équilibre ordinaire : les sensations douloureuses périphériques l’impressionnaient comme siennes, ses idées lui apparaissaient ainsi que ses sentiments comme des manifestations de son propre moi ou de son moi ordinaire et cérébral, et il se lamentait, il gémissait sur son état : alors la croyance d’être un autre n’était plus que dans sa mémoire. Là, la conscience du moi descendait au minimum d’intensité dans sa localisation cérébrale ; elle n’existait plus dans sa localisation périphérique où la croyance à l’autre la remplaçait, ou, plus exactement peut-être, elle paraissait ne plus exister en tant qu’elle était descendue à son minimum