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d. nolen. — les maîtres de kant

maturité de la réflexion en suggère spontanément la pensée à son élève. Rousseau conçoit pourtant que le christianisme puisse être salutaire à la société, pourvu qu’on n’en fasse pas une religion d’État. Il nie, dans le Contrat social et les Lettres de la montagne, qu’un État puisse subsister sans religion. Mais cette religion civile, comme il l’appelle, doit être purement naturelle, réduite aux dogmes essentiels, à la conscience morale, la foi dans une autre vie et dans une providence rémunératrice. Il n’en réclame pas moins pour ces dogmes élémentaires l’appui du bras séculier. « Que si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort. Il a commis le plus grand des crimes ; il a menti devant les lois[1]. »

Kant n’a, vis-à-vis de l’institution religieuse, ni ces craintes ni ces exigences, qui se contredisent. Il croit à la vertu éducatrice de la religion pour les individus ; à sa vertu sociale, pour la conservation et la prospérité des États. Pas plus que les institutions juridiques ou politiques, elle n’est l’œuvre de la ruse ou de la convention. Comme tous les autres organes du corps social, elle se développe spontanément. C’est qu’elle est nécessaire à l’activité pratique de l’humanité, à cette victoire finale du bon principe sur le mauvais, c’est-à-dire du devoir et de la raison sur l’égoïsme et la sensibilité, qui est le but suprême de l’individu et de l’histoire. La faiblesse humaine, aussi bien dans l’enfance des individus que dans celle des peuples, demande que la conscience emprunte la voix et l’autorité d’un Dieu pour se faire écouter avec respect et obéir avec soumission. La religion ne fait que donner le corps, qu’ajouter l’efficace qui leur manquent, aux prescriptions, aux espérances de la foi morale ; et la plus vraie de toutes les religions est celle qui nous offre le symbole le plus complet de la vérité morale. Le christianisme supérieur et compréhensif, dont Kant appelle la venue et salue l’approche dans son livre sur la Religion de la raison pure, comme dans l’Essai sur le combat des facultés, lui paraît destiné, en ce sens, à devenir la religion unique et définitive de l’humanité. Nous sommes loin des défiances du rationalisme de Rousseau et de la plupart de ses contemporains à l’endroit des institutions religieuses.

Le Combat des Facultés[2] (1798) n’est pas une revendication moins énergique des droits et du rôle de la science et de la critique. Aux théologiens, qui redoutent pour leurs dogmes la libre et mobile curiosité de la science ; aux légistes et aux politiques, qui tremblent pour l’autorité des lois et des institutions, dont la défense leur est

  1. Contrat social et Lettres sur la montagne.
  2. Kant’s Werke, t. VIII.