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TARDE. — problèmes de criminalité

III

homicide et suicide

Une question qui se rattache à la précédente est celle de savoir s’il est vrai, comme le prétendent les écrivains les plus autorisés, notamment Ferri et Morselli, que la marche du suicide soit inverse de celle de l’homicide, et que l’un, en tout pays et en tout temps, serve en quelque sorte de complément ou de contre-poids à l’autre[1]. Je m’étais permis, à propos de l’Omicidio-suicidio de Ferri, d’émettre des doutes motivés à ce sujet. Cet auteur, avec lequel d’ailleurs mon désaccord est peut-être plus apparent que réel ou plus superficiel que profond, m’a répondu dans la seconde édition de son opuscule (p. 112-120) en dressant un tableau graphique des plus instructifs où tous les éléments du problème se trouvent résumés. État par État, la courbe de l’homicide y est opposée à celle du suicide pour toute la période embrassée par les statistiques. — Eh bien, plus j’étudie cette planche, moins je suis disposé à admettre la thèse dont elle est censée être la justification. J’y vois bien, à la vérité, en comparant dans le détail les courbes accouplées deux à deux, que, assez souvent, les années où l’une monte, l’autre descend, et vice versa ; le fait même est frappant par sa constance en ce qui concerne l’Irlande et, dans l’ensemble, suffit à expliquer la généralisation que je combats. Mais, d’abord, il y a de nombreuses exceptions. Pour l’Italie, par exemple, où les courbes sont d’ailleurs trop brèves pour pouvoir être utilement comparées, la dépression de la courbe-homicide en 1868 coïncide avec une dépression, et non un relèvement, de la courbe-suicide. Pour l’Angleterre, de 1857 à 1859, de 1870 à 1874, les deux sont plutôt parallèles qu’inverses ; de même pour la Belgique, de 1851 à 1855, de 1861 à 1864. La Prusse, à partir de 1865, offre aussi beaucoup de parallélisme dans ses courbes, toutes deux montantes[2]. Quant à la

  1. Ce n’est pas que la thèse contraire n’ait été soutenue, mais à une époque déjà ancienne. Cazauvieilh, en 1840, a cherché à établir, paraît-il, que le nombre des suicides et celui des crimes violents ont toujours progressé ou décru ensemble.
  2. La Prusse est un des rares États civilisés où l’homicide est en voie d’accroissement notable, malgré les progrès de sa culture. C’est peut-être en effet cet équilibre social européen (substitué à l’ancien équilibre politique, qui tend à établir le niveau de la criminalité entre les nations de civilisation égale. La Prusse, en effet, a encore quelques pas à faire dans la même voie meurtrière pour atteindre au niveau de la France, par exemple.