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Rien de plus simple alors que de comprendre une corrélation aperçue avec sagacité, mais non sans surprise, par M. Jacques Bertillon dans sa belle Étude démographique sur le divorce et la séparation de corps[1]. Après avoir constaté que ces procès de famille vont se multipliant dans toute l’Europe, il cherche la raison de cet accroissement, et, en bon statisticien, il confronte tour à tour les résultats numériques de son examen, fournis par la comparaison des races, des classes, des âges, des époques, avec plusieurs autres catégories de chiffres, destinés à éclairer les premiers, par exemple avec ceux qui expriment l’émigration des campagnes vers les villes, ou la fréquence des mariages, ou la proportion des enfants naturels. Mais nulle part n’apparaît entre ces données une relation quelconque, si vraisemblable qu’elle pût paraître. Un seul rapprochement a mis en lumière une concordance des plus imprévues à coup sûr. La carte des divorces et celle des suicides présentent « une ressemblance frappante ». Les mêmes influences agissent de la même façon sur ces deux phénomènes, si étrangers l’un à l’autre. Ils sont pareillement plus fréquents dans les villes qu’aux champs, dans les classes instruites qu’au sein de la population inculte, chez les Allemands que chez les Slaves, etc. « Il n’est pas jusqu’à cette exception bizarre que le Danemark présente au milieu des quatre peuples scandinaves, qui ne se retrouve pour les divorces comme pour les suicides. » Un tableau fait voir que[2] les pays où l’on compte peu, beaucoup, énormément de suicides par rapport au chiffre de leur population, sont aussi ceux où l’on compte peu, beaucoup, énormément de divorces et de séparations de corps. La règle « se vérifie avec plus de rigueur lorsqu’on compare entre elles les différentes parties d’un même pays, » par exemple les cantons de la Suisse et les départements français. « Toujours les cantons (suisses) qui comptent beaucoup de divorces comptent beaucoup de suicides. Et, réciproquement, ceux qui comptent peu de divorces comptent peu de suicides[3]. « Dans tout le sud de la France, les séparations de corps sont rares ; rares aussi sont les suicides. Au nord de la Loire, les séparations sont fréquentes ; fréquents aussi les suicides. Mais, dans le Nord, la Bretagne, la Flandre et l’Artois font exception et comptent peu de

  1. Annales de Démographie, fascicule de sept. 1882.
  2. « Sauf deux exceptions, » dit M. Bertillon. Mais, à les examiner de près avec lui-même, on s’aperçoit que ces exceptions sont purement apparentes et rentrent dans la règle.
  3. « Et les différences ne sont pas médiocres. Rappelons-nous, en effet, l’énorme distance qui sépare les cantons catholiques des cantons protestants, en sorte que la fréquence du divorce, qui est de 5 dans le Valais, par exemple, dépasse 100 dans Schaffhouse. »