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doivent, pour être employés, être appris par le moyen des sens. Au contraire, le langage peut être déterminé par des impressions n’ayant rien de spécifique au point de vue de la parole. Le cri du nouveau-né, en tant qu’il est un signe d’un état intérieur ; peut être considéré comme un mode inférieur du langage ; cependant le nouveau-né ne l’a jamais entendu. Certaines formes du langage sont des réflexes organisés, dont la première partie, l’impression extérieure, peut n’avoir aucun rapport primitif avec le résultat final. Il n’en est pas de même pour la parole ; elle ne peut être employée qu’après avoir été apprise, pour prononcer un mot, il faut avoir entendu un mot semblable ou tout au moins en avoir entendu les éléments, et avoir appris à les combiner en entendant plusieurs combinaisons. C’est pour cela que nous pouvons considérer la période centripète du processus du langage, l’impression visuelle, auditive, tactile en certains cas, comme un des éléments de l’acte de la parole. La parole s’en affranchit assez vite, mais au début elle est essentielle. Ajoutons qu’elle persiste beaucoup sous une forme affaiblie et qu’on garde toujours l’habitude d’employer surtout les mots qu’on entend ou qu’on lit le plus souvent. Sans doute, on ne les répète pas immédiatement, mais l’influence des impressions auditives et visuelles, pour ne pas se manifester soudainement, n’en est pas moins réelle et profonde.

II

Retournons maintenant à la parole intérieure. Il s’agit de montrer en elle les trois éléments que nous avons signalés dans la période centrale de la parole réelle, ensuite de montrer que la parole intérieure est une tendance vers une parole extérieure complète, c’est-à-dire que les phénomènes de la parole intérieure tendent, quand rien ne vient entraver leur développement naturel, à produire d’un côté la sensation, de l’autre le mouvement. La parole intérieure tend donc à se compléter par une impression forte, une sorte de sensation, dans l’espèce une hallucination, d’une part, et d’autre part par une prononciation réelle. Nous voyons déjà que ce dernier fait pourra venir à l’appui de notre première proposition en mettant en relief les images faibles que l’observation intérieure néglige et n’aperçoit pas, et que des circonstances particulières viennent rendre évidentes en leur donnant des proportions presque morbides ou complètement pathologiques. Les moyens qui sont à notre dis-