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PAULHAN. — le langage intérieur

motrice initiale a seule une importance. Je varie alors mon expérience ainsi qu’il suit. Je prononce un A, et, au moment même où je le prononce, je fais coïncider avec la représentation du mouvement la représentation d’un O, qui se présente à moi avec le caractère de l’image auditive.

Ce qui précède me paraît concluant. J’ai voulu aller plus loin encore, et je crois y être arrivé. J’ai tâché de réaliser l’expérience mène proposée par M. Stricker et de me représenter à la fois deux voyelles différentes ou même deux lettres semblables en retenant ma respiration. Cela serait impossible si la théorie de M. Stricker, que je considère d’ailleurs comme donnant une partie de la vérité, était absolument exacte. J’ai eu une certaine peine à réaliser ces deux représentations simultanées. Au début, je ne parvenais à aucun résultat satisfaisant, puis il me sembla que je pouvais penser à la fois à deux voyelles, sans me les imaginer. Je reviendrai plus loin sur ce fait et sur l’interprétation qu’il faut en donner. Enfin, à force de répéter mes expériences, je suis arrivé à me représenter à la fois deux voyelles, l’une étant fortement empreinte du caractère moteur, l’autre étant une image auditive très faible. Je puis ainsi me représenter à la fois A et O, autant que j’en puis juger, en fermant les yeux et en retenant ma respiration, et sans prolonger la représentation d’une des voyelles. L’expérience devient beaucoup plus facile si je la prolonge. La représentation courte et simultanée est difficile à obtenir à cause de l’association des images de mouvement et des images auditives.

Je trouve dans le livre de M. Stricker lui-même certaines expériences qui tendraient à faire croire que l’auteur peut aussi se représenter, quoiqu’avec une vivacité inégale, deux voyelles à la fois. Je ne voudrais pas trop insister sur cette contradiction ; elle peut, à la rigueur, provenir d’un défaut de précision dans l’expression ; quoi qu’il en soit, voici le fait :

« Quand j’articule une syllabe, dit M. Stricker, je n’ai jamais qu’un son présent à la conscience, mais les autres sons de la syllabe me sont cependant percevables en même temps, quoique moins vivement…

« Je puis donc me représenter deux ou plusieurs mots à la fois, mais non pas avec le même degré de vivacité.

« Ma supposition que les représentations des mots sont des représentations motrices, que les centres oraux doivent être excités l’un après l’autre pour nous donner l’idée d’un mot, ne peut guère être mise d’accord avec ces phénomènes sans recourir à l’observation et à la réflexion. Comment percevoir par exemple à la fois, bien qu’avec une inégale vivacité, l’R de ces deux mots : « Roland recula, » si nous