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l’intelligence que comme phénomène secondaire et accidentel. On voit l’hypothèse que nous pouvons faire et qui nous semble la plus probable sur la nature de l’image abstraite. Elle est un réveil faible de diverses parties de diverses sensations ou, de diverses images, lesquelles parties sont coordonnées entre elles. Désignons des images visuelles, motrices, auditives, etc., par des groupes de lettres A, B, C, D ; a, b, c, d ; α, β, γ, δ, l’idée pourra se présenter sous la forme A, a, , α, qui ne rappellera aucune des images en particulier et qui sera une systématisation d’abstraits de ces images. Je n’insiste pas sur cette hypothèse, qui pourrait nous entraîner hors de notre sujet.

Quels sont les rapports de ce langage intérieur abstrait avec les images de mots, images auditives, visuelles et motrices ? Pour le déterminer avec précision, il faudrait faire une classification exacte des phénomènes qui composent le langage abstrait et qui sont ce qu’on appelle à proprement parler des idées. Nous pouvons en distinguer, en restant au point de vue du langage, deux espèces au moins :

1o Les représentations abstraites qui sont dues, comme celles dont nous nous sommes occupés en dernier lieu, à un faible réveil partiel de diverses tendances qui se systématisent ;

2o Les représentations abstraites qui sont dues au réveil faible et partiel de divers signes. Dans ces deux groupes, nous retrouvons probablement le même phénomène général, le réveil partiel et systématique de quelques tendances ; mais la différence que nous faisons entre les deux groupes est celle-ci, que dans le second il s’agit principalement de représentations de signes ; l’idée d’une action rentre dans la première catégorie, l’idée d’un mot rentre dans la seconde. Évidemment, cette classification n’a rien de rigoureux et n’a peut-être même de valeur qu’au point de vue de la question particulière que j’examine dans cet article.

L’idée, avons-nous dit, est une sorte de langage intérieur, en ce sens qu’elle est un signe, un symbole d’une réalité actuelle ou possible. Comment se rattache-t-elle à cette forme de langage qui se manifeste par des mots écrits, pensés ou prononcés ? Ici, je me prononcerai contre une théorie actuellement en faveur. Nous avons déjà vu que le mot n’était pas l’idée ; nous devons reconnaître aussi que l’idée est plus essentielle au mot que le mot n’est essentiel à l’idée. Le mot ne peut avoir une utilité au point de vue du langage que comme excitateur de l’idée. Le langage audible ou visible n’est donc que l’occasion d’un langage plus profond, qu’il réveille par