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parfaitement conservé. Tout cela nous prouve que l’idée joue un rôle considérable dans la perception du mot, et que si la représentation interne des mots peut, en beaucoup de cas, faciliter l’idéation, qui peut d’ailleurs exister sans elle, l’idée à son tour non seulement fait des mots arrangés un langage, mais aussi facilite singulièrement ou rend possibles leurs représentations internes ou leur perception extérieure, par conséquent, que toute pensée est un langage ; et le langage intérieur consiste essentiellement en pensées, puis en représentations abstraites de mots, enfin en représentations concrètes qui viennent susciter les représentations abstraites ou les pensées. Il y a là une sorte de substitution, à divers degrés, des signes de la réalité et des signes de ces signes.

Je résumerai ainsi les principales conclusions de ce travail :

1o Le langage intérieur est un phénomène complexe comprenant des représentations visuelles, des représentations auditives, des représentations motrices, des représentations tactiles et des représentations abstraites[1].

2o Chaque classe de représentation (visuelles, auditives, motrices ou abstraites) peut prédominer avec une vivacité différente chez des personnes différentes, et même peut, en certains cas, constituer à elle seule la partie sensible des signes qui composent la parole intérieure. On doit peut-être faire une exception pour la classe des impressions visuelles.

3o Le langage intérieur tend à se rapprocher du langage réel, soit par la transformation de l’image sensible en sensation ou hallucination, soit par la transformation de l’image motrice en prononciation réelle.

4o Les représentations abstraites paraissent être des résidus de sensations ou de tendances ; organisées et systématisées, elles peuvent représenter, sans leur ressembler, soit des actes, soit des sensations ou des complexus de sensations, soit des signes ou des mots.

5o La pensée est un langage intérieur, mais ne se laisse pas réduire à des mots ou à des images de mots ; l’idée abstraite existe par elle-même sous forme de résidu, de représentation abstraite ; la pensée est un langage, non une parole, et, si la représentation des mots lui est utile, elle paraît, de son côté, faciliter beaucoup cette représentation.

Fr. Paulhan.

  1. On peut consulter avec profit à ce sujet M. Bernard, De l’Aphasie et de ses diverses formes, que j’ai lu seulement après avoir écrit ce travail.