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point obscur auquel le penchant mystique puisse s’attacher. S’il se produit chez Strauss un sentiment de réaction contre le pessimisme de Schopenhauer, nous voyons réagir en lui, d’après Hartmann, le sentiment d’une béate satisfaction que leur procurent les biens de ce monde, c’est-à-dire le sentiment mondain et irréligieux contre le point de vue anti-mondain et religieux de Schopenhauer.

Ainsi non seulement Strauss n’est pas un vrai philosophe, mais il est encore un homme à idées peu profondes, qui a renié le drapeau de l’idéalisme : tel est le jugement prononcé par Hartmann dans sa Décomposition spontanée du christianisme. La nation allemande acceptera-t-elle comme définitif ce jugement sur le célèbre critique qui, sur son lit de souffrances, a pris une part tellement vive au développement politique de sa patrie que, peu de jours avant sa mort, il a ajouté à une lettre ces mots, les derniers qu’il ait écrits : « Salut au Reichstag qui s’ouvre demain ! c’est là un grand événement en présence duquel nos petites douleurs disparaissent ! » Le spirituel écrivain dont la conversation a souvent excité chez nous l’aspiration vers l’idéal, et qui par son amabilité et ses hautes lumières nous a inspiré une si vive sympathie, quand nous nous livrions avec délices à la lecture de ses ouvrages, sera-t-il banni par une histoire future de la littérature du cercle des idéalistes, et sera-t-il rejeté au nombre de ceux qui, dans la béate satisfaction que leur procurent les biens de ce monde, n’ont cherché qu’à arracher du sein de l’homme tout sentiment idéal ?

Quand la biographie de Strauss aura été écrite, il occupera, nous en sommes convaincu, une place plus digne et plus honorable dans le souvenir de la postérité. En attendant, la courte esquisse où E. Zeller a dépeint la vie et caractérisé les écrits de Strauss avec la main sûre d’un ami, nous paraît toujours mériter d’être recommandée à tous les lecteurs de la Foi ancienne et la Foi nouvelle, qui ne se sont pas rendu compte de cet écrit d’une personne connue et chérie d’après les idées et les sentiments qu’il a toujours professés, et qui, égarés par la teneur littérale d’un court testament d’écrivain, ont cru ne plus y reconnaître son image telle qu’ils se l’étaient représentée d’après ses œuvres antérieures. Peut-être plus d’un verra-t-il la Foi ancienne et la Foi nouvelle, sous un jour tout à fait nouveau, quand il aura médité quelque temps sur ces feuilles si calmes, qui nous permettent de jeter un coup d’œil dans l’âme de l’homme privé en apparence de sensibilité. Nous serons encore plus convaincus de la profondeur et de la richesse de cette âme, si nous lisons la biographie de Märklin, dans laquelle Strauss raconte d’une façon aussi charmante que simple une partie de sa propre vie, ainsi