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tandis que la figure pseudoscopique varie avec la position de l’œil : l’obliquité du cercle et sa grandeur apparente diffèrent selon le point de vue d’où nous regardons. Or il est contraire à l’expérience que l’objet matériel change de forme quand nous changeons de position ; c’est pourquoi le moindre mouvement du corps nous fait abandonner cette interprétation fautive et revenir à l’interprétation juste. De là la nécessité, pour obtenir l’illusion : 1o d’en imaginer avec ténacité au moins un élément, savoir la position en avant de la ligne ABC ou la position en arrière de la ligne ADC, afin de lutter avec succès contre l’interprétation habituelle ; 2o de prolonger le regard pour troubler un peu l’image rétinienne ; 3o de le prolonger en demeurant immobile. De là aussi l’impossibilité d’obtenir l’illusion avec un objet non transparent, comme un sucrier de métal ou de porcelaine ; la seconde position du cercle ne correspond alors à aucune forme ayant la moindre vraisemblance ; la fixité du regard trouble l’image et supprime l’interprétation juste sans qu’elle puisse être remplacée par une autre.

Plus encore que mes énoncés, mes conclusions sur le relief et sur l’espace visuel ont provoqué les critiques de M. L. Ici, je serai moins conciliant. Le dissentiment porte sur trois points principaux :

1o Selon M. L., le relief est produit par le mouvement des deux yeux ; deux yeux immobiles sont aussi incapables qu’un œil unique de percevoir le relief. — Cette théorie a été soutenue ; mais elle a contre elle deux faits décisifs, à savoir que le relief apparaît à la lueur de l’étincelle électrique, et que deux images accidentelles, séparément produites dans les deux yeux, puis superposées, donnent un effet de relief stéréoscopique (Helmholtz, Optique physiologique, p. 934-937). La fixité du regard ne saurait donc être considérée comme supprimant le relief. J’ajoute que si le relief résultait du mouvement des yeux, c’est-à-dire d’une série de perceptions successives, il serait, non pas donné, mais inféré. Je maintiens qu’il est donné, mais que c’est un datum faible, que l’esprit peut, dans certains cas, ne pas remarquer, dont il peut négliger ou contredire les indications.

Si la fixité du regard ôte la profondeur aux objets naturels, comment peut-elle, au contraire, donner de la profondeur aux représentations planes des mêmes objets (p. 492 et 493 de mon article) ? Apparemment, c’est que le relief est hors de cause ici, car le relief ne peut être enlevé aux objets réels et donné à leurs images par une même cause, l’arrêt du mouvement des yeux. Ce qui disparaît avec le mouvement, c’est le glissement des plans plus ou moins éloignés les uns sur les autres ; ce phénomène, bien autrement important que le relief, est, à mon avis, l’élément principal de l’idée de la profondeur : un tableau est un plan, pour le sens commun, parce que, si nous bougeons, ses différentes parties ne bougent pas ; si nous ne bougeons pas, la nature et les tableaux ne se distinguent plus que par le relief ; or ce caractère est trop faible pour être nettement spécifique ; la nature peut alors, dans certains cas, paraître un tableau, et un tableau peut faire trompe-l’œil ;