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notes et discussions

c’est ce qui arrive, comme je l’ai montré, lorsque nous voyons des objets naturels entourés d’un cadre ou des tableaux artificiellement dégagés de leur cadre.

2o L’expérience du journal, quoi qu’en dise, au nom de raisons purement théoriques, M. L., ne réussit pas avec les deux yeux, même immobiles. Pourquoi ? C’est sans doute à cause du relief. Si faible qu’il soit, il signifie habituellement la profondeur, c’est-à-dire des distances non indéterminées ; il invite ainsi l’esprit à suivre ses habitudes, qui sont de situer les visa à une certaine distance en avant des yeux ; la vision monoculaire, n’étant pas habituelle, interrompt le cours de nos jugements habituels et nous laisse en présence d’un visum dégagé de toute association préétablie.

3o M. L. répugne, avec Helmholtz et bien d’autres, à considérer la surface visuelle comme donnée, tandis que la profondeur serait seule inférée. Il est, en d’autres termes, empiriste pour les trois dimensions des visa, tandis que, à mon avis, le nativisme est la vraie doctrine pour les deux premières, l’empirisme pour la troisième seulement. Il serait trop long d’établir ici que Helmholtz se contredit perpétuellement quand il essaye d’étendre à la surface visuelle la théorie empiriste. Je me bornerai à faire remarquer à M. L. que, si « la localisation à droite ou à gauche est déterminée d’une façon certaine par le côté de la rétine où se peint l’image », si la rétine n’est pas insensible en dehors de la tache jaune, si, par conséquent, les différents points de l’image sont vus simultanément, les uns d’une vue directe, les autres d’une vue indirecte, la ligne qui relie les points est donnée ; il est dès lors inutile de parler d’une association inséparable entre « la sensation éprouvée » et une « prévision », car l’association même est donnée ; c’est l’association d’éléments simultanément donnés et donnés à l’état d’associés. Il ne s’agit donc pas ici de « signes à interpréter » ; la mesure de la distance des points pourra présenter des difficultés, mais non leur situation à droite ou à gauche, en haut ou en bas l’un de l’autre. Le mouvement de l’œil qui amène les différents points de l’image au centre de vision, pourra être nécessaire à la mesure des distances de ces points, mais non à leur localisation, c’est-à-dire à leur distinction, qui est préalable à toute mesure. Si la mesure des distances sur la surface est une interprétation, la surface elle-même n’est pas une interprétation, tandis que l’idée de la profondeur, soit déterminée, soit même indéterminée, résulte de l’interprétation que nous donnons à certaines circonstances de la vision : relief binoculaire, perspective aérienne, perspective linéaire, et surtout modification des visa correspondant aux mouvements des yeux et aux mouvements du corps. En résumé, et pour conclure, tout visum, même le plus petit, même le plus simple, a une droite et une gauche, un haut et un bas ; aucun visum, même le plus grand, même le plus compliqué, n’a par lui-même un avant et un arrière ; tout visum est une surface, lumineuse ou colorée, sans profondeur.

Victor Egger.