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tion de M. de Hartmann ; comme s’il existait aucun moyen d’éprouver la valeur de l’une ou de l’autre, et aucune raison tant soit peu scientifique de préférer l’une à l’autre ! « En dépit de ses divagations, écrit-il en substance, p. 207, le pessimisme possède une réelle et durable valeur. Il est facile d’en rire aux jours de la jeunesse et de la santé, et nulle croyance en ce monde n’est parfaite. Ayons seulement un peu de patience. Théoriquement, le pessimisme est encore dans l’enfance ; mais il sortira de ses bévues quelque chose de sérieux, et, si beaucoup de ses théories peuvent changer, son thème principal et indiscutable, que la vie est un fardeau, demeurera à la fin solide et sans changement. » Ce qui subsiste, après cette déclaration très nette, de la métaphysique du pessimisme, est peu de chose, à ce qu’il pourra sembler.

M. Saltus n’est pas moins réservé pour ce qui regarde les moyens de la délivrance recommandés par les deux maîtres. « Comme ils peuvent tous deux avoir raison, dit-il, p. 206, tous deux peuvent avoir tort, et peut-être la clef de l’énigme tient-elle en ce seul mot, résignation, que le poète philosophe a prononcé il y a longtemps. Elle offre certainement l’avantage d’être un palliatif plus immédiat et plus utile à l’homme souffrant que les remèdes préconisés dans les précédents systèmes. »

Ces justes aveux n’empêchent pourtant pas M. Saltus de croire en un pessimisme « scientifique ». Les tristes, les désespérés, écrit-il p. 212, sont qualifiés de pessimistes, « et c’est précisément avec ces types, résultant de la disposition et du tempérament de l’individu qui les présente, que le pessimisme scientifique n’a rien à faire ; il les ignore entièrement. » Il est vrai en effet, et sans méconnaître qu’un motif du sentiment a décidé de toute l’entreprise, que le philosophe pessimiste peut s’élever à une hauteur d’où il examine la vie en spectateur presque désintéressé. Mais l’évaluation qu’il a faite des biens et des maux de la vie lui sert ensuite de fondement pour une métaphysique chargée d’expliquer le règne de la douleur et la contradiction poignante du « vouloir vivre » avec le « devoir mourir ». Une telle évaluation, cependant, est-elle possible, et que vaudra jamais une pareille métaphysique ? C’est là deux questions préalables que M. Saltus n’aborde point. Il rejette sans pitié, en passant, l’œuvre de Julius Bahnsen dans la nuit à laquelle, dit-il, elle appartient (p. 219) ; il ne la trouve pas digne de contribuer au développement du pessimisme « avancé », parce que Bahnsen a nié toute finalité, immanente même à la nature, et proclamé l’illogisme universel. L’illogique de Bahnsen ne me parait pourtant pas, métaphysiquement, plus impossible que la logique de l’inconscient, et toute spéculation est également légitime, au delà de la frontière des hypothèses positives, à la condition de reconnaître que l’on est dans le merveilleux ou dans l’arbitraire.

En résumé, M. Saltus ne prend pas sur lui de refuser absolument la métaphysique du pessimisme ; il s’en détourne seulement, et il s’attache surtout à la question : si la vie est une calamité, sans y répondre toutefois que d’une manière encore très générale. Son livre se ferme sur