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suppose non pas simplement un état perçu avec plus ou moins d’intensité, mais un développement successif d’actions matérielles enchaînées les unes aux autres par un mécanisme complexe. Elle peut donc être atteinte par un plus grand nombre de lésions : lésions du système musculaire, lésions du système nerveux ; et parmi ces dernières figurent les lésions des nerfs moteurs et celles des nerfs sensitifs, qui soit isolément, soit ensemble, peuvent également gêner ou arrêter le déploiement de la puissance motrice.

Tout ceci posé, faut-il croire que la séparation de ces deux grandes manifestations de la vie soit chose toute mécanique ? Tels organes sentent, dirait-on alors, tels autres meuvent : les premiers sont plus résistants et plus faciles à guérir ; les seconds, une fois démontés, ne se réparent qu’avec beaucoup de peine, et ainsi les uns et les autres suivent, chacun de leur côté, les destinées particulières que leur font leur mode de structure ou la nature de leur substance. Une telle explication négligerait la partie la plus considérable et la plus intéressante du phénomène qui nous occupe.

Sans aucun doute, la division du travail est la loi de tout organisme ; mais cette division n’empêche pas l’unité du fond commun qui alimente les travailleurs, l’unité du capital qui leur fournit incessamment leurs moyens d’action et qu’ils accroissent ensuite à leur tour. Elle n’empêche pas davantage la solidarité des actions et la connexion nécessaire des instruments mis en œuvre. À l’acte complexe où la conscience nous fait apercevoir une sensation et un mouvement liés l’un à l’autre, l’expérimentation physiologique et la clinique nous montrent que deux systèmes d’organes sont nécessaires. Ils fonctionnent chacun de leur côté, et ils fonctionnent ensemble : c’est là du moins la loi, et ce qui le prouve, c’est que la rupture de ce concours est précisément un état de maladie. Mais dans la maladie même il y a très souvent effort pour rétablir l’harmonie par l’entrée en action d’autre organes s’offrant pour suppléer à ceux qui manquent. Assurément l’introduction de ces « fonctions vicariantes[1] », comme dit Wundt, est elle-même soumise à la loi de la division du travail et de la connexion des parties. Les suppléances ne réussissent que graduellement, et à la condition de pouvoir établir entre les parties intéressées des combinaisons appropriées qui restaurent, dans une mesure suffisante, l’union détruite ou ébranlée. Mais tout cela montre que la localisation des fonctions et la spécificité de leurs organes ne sont qu’une partie de la vérité, et qu’après avoir rappelé ce que les deux

  1. Voyez, sur ce point si intéressant, ses Éléments de psychologie physiologique ; trad. française. 1886. F. Alcan, tom.  I, ch.  vii.