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appuyée de faits très précis. D’abord, dit le professeur Grasset[1] résumant les observations de plusieurs cliniciens allemands fort connus, l’ataxie n’est pas toujours en rapport avec l’anesthésie. Tel malade a une sensibilité plus développée que son incoordination, et réciproquement. De plus, l’anesthésie peut n’exister qu’aux membres inférieurs, alors que l’incoordination a déjà envahi les membres supérieurs… Il y a même des cas dans lesquels les troubles de la sensibilité sont presque nuls, et où l’ataxie cependant est très marquée. On signale enfin des cas authentiques où l’anesthésie disparaît à un certain moment de la maladie, malgré la continuation et même l’aggravation progressive de l’ataxie. La sensibilité redevient normale, et cela non seulement à la peau, mais dans les parties profondes ; et cependant la maladie suit son évolution.

La théorie « sensitive », comme on l’appelle, c’est-à-dire celle qui subordonne l’ataxie à une lésion de la sensibilité, n’en a pas moins été soutenue par deux hommes éminents : Vulpian en France, Leyden en Allemagne[2]. Mais outre que leurs théories, fondées sur des analyses d’anatomie pathologique très difficiles à vérifier, ne tiennent guère contre les faits cliniques, voici ce qu’à notre point de vue nous avons ici à observer. Supposons que ce soient les altérations de la sensibilité qui amènent ou qui aggravent cette maladie des organes moteurs. Notre thèse n’en est pas atteinte. Dans cette maladie en effet la motilité est troublée et pervertie, elle n’est pas abolie. La force musculaire est conservée ; elle y garde même une puissance de résistance ou d’action remarquable, les malades pouvant fournir une longue course, soutenir des fardeaux pesants, remuer leurs membres avec facilité, avec violence même, dépassant le but assigné.

Que conclure de tous ces faits ? Que le mouvement volontaire ou coordonné compte, sans aucun doute, les sensations parmi les avertissements dont il a besoin pour organiser ses efforts, et que ces avertissements lui sont donnés avec une promptitude merveilleuse, mais que le mouvement musculaire simple subsiste et demeure intact, malgré les troubles ou la suppression de la sensibilité dite musculaire : cela prouve apparemment qu’il lui est antérieur et qu’il en est, au fond, indépendant.

À l’ensemble de cette théorie cependant il a été fait deux objections qui se touchent d’assez près et que nous ne pouvons pas ne pas mentionner. Malgré tous les arguments de William James, mal-

  1. Traité pratique des maladies du système nerveux, 3e édition, p. 364.
  2. En 1862 et 1863, il est vrai ; les travaux que nous venons d’analyser sont postérieurs.