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JOLY.la sensibilité et le mouvement

gré un grand nombre de faits identiques à ceux que nous venons de passer en revue, Wundt persiste à croire à l’existence d’un sens antérieur, efférent, centrifuge. Sans doute, dit-il[1], le sens musculaire est quelque chose de complexe et qui résulte de plusieurs facteurs différents. Qu’on fasse d’abord la part des sensations de pression de la peau, des parties sous-cutanées, puis celle des sensations résultant de la contraction des muscles, on a raison. Mais il y a un troisième facteur constitué par les sensations « d’innervation centrale ». Comment isoler cette dernière sensation ? Dans la vie normale il faut y renoncer : l’analyse est impossible. Mais Wundt croit que ce sont précisément les cas invoqués de paralysie qui fournissent ce moyen d’analyse et d’isolement. Il prétend que le paralytique qui cherche à soulever sa jambe absolument inerte a une sensation très nette de l’effort et de la force qu’il déploie. Il manque assurément à ce malade tous ces éléments de la sensation de mouvement qui ont pour origines la contraction des muscles, les déplacements et la pression des parties cutanées, et il acquiert ainsi l’idée que son effort est vain. « Cependant ce n’est pas un motif pour nier qu’il ait une sensation de cet effort. »

« Ce n’est pas un motif pour nier » ? Ce n’est pas non plus, ce semble, un motif pour affirmer : l’argument est plus négatif qu’autre chose ; il ne contient guère, en somme, qu’une assertion. Mais admettons que dans les cas étudiés d’impuissance à réaliser un mouvement perceptible, il y ait quelque sentiment positif lié à l’effort vain et inefficace. La très délicate analyse de Ferrier[2] nous donne de ce fait une explication dont il est difficile de ne pas se tenir pour satisfait. La paralysie, d’abord, n’est jamais tout à fait complète. À l’effort imaginaire et inexécuté correspondent toujours de petits efforts réels sur quelque point de l’organisme, et l’individu en est averti par voie centripète. Ainsi on dit à une personne paralysée de la main gauche de se servir de la main gauche ; elle fait un effort et serre la main droite (on l’a vu dans l’exemple de Deneaux). C’est de ce dernier mouvement qu’elle est affectée, et c’est par ce mouvement qu’elle est avertie. Puis il y a toujours un effort des organes de la respiration, « la fixation des muscles respiratoires constituant la base du sentiment général de l’effort à tous les degrés ». Or, voilà bien une autre sensation afférente ou centripète, c’est-à-dire postérieure au mouvement. Que reste-t-il encore ? Une représentation faite du souvenir des efforts passés, une sorte d’illusion de l’imagination ? S’il y a là

  1. Éléments de psychologie physiologique, édit. française, t.  I, p. 421, 424.
  2. Les fonctions du cerveau, édit. française, pag.  355.