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un élément sensitif, il n’est que de formation ultérieure, et il suppose toujours l’expérience de mouvements accomplis. Si l’on veut y voir enfin quelque chose de tout mental, la conscience de la volonté proprement dite et de son fiat, il s’agit alors d’un phénomène d’un autre ordre et où la sensibilité n’a rien à voir. Bref, entre la conscience d’une détermination de la volonté et le sentiment des conséquences du mouvement, une fois le mouvement accompli, où trouver un fait de sensation qui tienne le milieu ? On ne le voit pas.

C’est encore un physiologiste cependant, ou du moins un médecin, Lasègue[1], qui s’obstine à vouloir cet intermédiaire. Il est vrai qu’il le taxe avec raison de mystérieux. C’est pour lui un sens initial, un sens instinctif, et il le désigne ainsi par opposition au sens secondaire qui avertit du mouvement exécuté. Est-ce là autre chose que le mystère même de la motilité spontanée ou le mystère même de la vie ? Sans doute, quand le malade frappé d’anesthésie remue ses bras et ses jambes à la seule condition de les voir ou de les toucher avec la main, quand il réussit à substituer la direction de la vue et du tact aux avertissements du sens musculaire, ce n’est ni la vue ni le toucher qui président à l’origine du mouvement : ce ne sont pas eux qui donnent à l’individu la faculté de se mouvoir. Il n’y a rien de plus évident. Mais la sensibilité musculaire qui est le guide normal et habituel des mouvements de l’organisme, est, sous ce rapport, dans les mêmes conditions que les deux autres : elle non plus ne préside pas à l’origine. Au delà donc de cette faculté motrice dont elle enregistre les résultats avec une rapidité presque instantanée, il n’y a plus rien à chercher pour nous qui étudions les phénomènes de sensibilité proprement dite. Invoquer un sens mystérieux ou instinctif, ce qui signifie ici un sens qui ne sent pas comme les autres ou, plus brièvement, un sens qui ne sent pas, c’est en vérité ne rien dire. Il est très possible, comme l’a montré un intéressant article de M. Féré[2], que l’énergie de l’effort soit en rapport avec l’énergie habituelle des facultés intellectuelles, que l’attention exagère la puissance du mouvement, etc. Mais le jeu des représentations cérébrales n’est pas un fait du même ordre que les faits de sensibilité dont nous parlons.

Il ne nous reste qu’à conclure définitivement. S’il y a un sens qu’on peut appeler indifféremment sens de l’effort, sens musculaire ou sens du mouvement, ce sens n’est nullement initial et préventif, et il ne se confond pas avec le sentiment tout à fait hypothétique de ce qu’on nomme l’innervation centrale ; il est le sens du mou-

  1. Étude citée.
  2. Voyez la Revue d’octobre 1883.