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DELBŒUF.l’éducation et l’imitation dans le somnambulisme

d’ailleurs ni douleur ni fatigue. On peut ainsi lui suggérer des attitudes plastiques admirables de vérité et d’expression, lui faire rendre à volonté l’amour, l’extase, la colère, la crainte, l’épouvante. Par exemple, vous lui fermez le poing, et à l’instant l’œil s’ouvre et lance des éclairs, les sourcils se froncent, le corps se soulève en se ramassant sur lui-même, les bras se projettent en avant de la poitrine ; en un mot, elle prend un air d’agression et de menace bien capable d’inquiéter et de faire reculer un spectateur non prévenu. Elle n’a, d’ailleurs, l’air de rien voir et de rien entendre.

Chose curieuse, on peut la mettre dans un état composé mi-partie de catalepsie et de léthargie. Il suffit pour cela de ne lui ouvrir qu’un œil. La moitié du corps à laquelle appartient l’œil fermé restera en léthargie, l’autre moitié entrera en catalepsie. On peut enfin, chose plus étrange encore, lui faire exprimer deux sentiments contradictoires, par exemple, l’amour à droite et la haine à gauche.

Différent est le troisième état, celui de somnambulisme. Pour le produire, on replace la personne en léthargie par l’occlusion des paupières, et on lui frictionne légèrement le sommet de la tête en passant la main sur ses cheveux. Alors elle ouvre d’elle-même les yeux, entre en communication avec l’extérieur, écoute, répond, va, vient, obéit aux injonctions qu’on lui donne, écrit, raisonne, fait preuve d’une certaine spontanéité, et quelquefois de plus d’intelligence et d’habileté que dans son état normal. De la même manière qu’on peut produire l’hémicatalepsie, on peut produire l’hémisomnambulisme. À cet effet, on n’a besoin que d’exciter le vertex, non plus sur la ligne médiane, mais un peu à droite ou à gauche ; le sujet devient somnambule du côté droit ou du côté gauche.

Voilà ce qui s’observe régulièrement et communément à la Salpêtrière. Ajoutons que là les somnambules ne font aucune difficulté de s’entretenir avec les assistants et d’en recevoir des suggestions[1].

  1. Voici trois faits à l’appui de l’intelligence et de la spontanéité du sujet, de son commerce avec l’extérieur, et de sa disposition à recevoir des suggestions du premier venu.

    La C… a été endormie par M. Charcot. M. Taine lui met en main un journal italien. Elle le lit en essayant de traduire et de deviner le sens d’après les mots qui ressemblent au français. Exemple : Gazetta di Venezia ? c’est pas du français. De l’italien ? Gazetta, Gazette ; di, de ; mais Venezia ? que peut bien être Venezia ? C’est pas du français. Ah ! Venise ! Gazetta di Venezia, c’est ça : Gazette de Venise. »

    M. Charcot lui a fait voir son portrait sur une carte de service dont il a une douzaine en main ; elle la retrouve. Je passe mon portrait à M. Féré, en le priant de le lui montrer, et je me tiens à l’écart derrière les autres spectateurs assez nombreux. « C’est une personne qui était tantôt ici ». Je mets mon chapeau pour la dérouter ; elle jette un regard rapide autour d’elle et elle me reconnaît à l’ins-