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REVUE GÉNÉRALE.penjon. Psychologie d’Aristote

réputée essentielle de la philosophie, on veut la détacher de la philosophie, l’élever ou la rabaisser au rang d’une science particulière. N’est-ce pas le cas, au risque de substituer parfois notre pensée à la sienne, d’en appeler à celui qui a véritablement, fondé la psychologie, comme il a fondé la logique, la métaphysique et la morale ?

I

Au premier abord, il semble bien qu’Aristote ait conçu la psychologie à la façon de quelques penseurs contemporains, comme une dépendance de la biologie, comme une science naturelle. Mais il ne faudrait pas, nous espérons bien le prouver, se fier à ces apparences.

Dès les premières lignes du Περὶ ψυχῆς, le plus important de ses traités psychologiques, il annonce le projet d’écrire une « histoire de l’âme » (ἱστορία ψυχῆς). Il entend par là, il est vrai, une description, une explication. Ce ne sera pas une science, à proprement parler, mais plutôt une simple collection d’observations. Et nous verrons cependant qu’il a traité son sujet de telle sorte que les résultats de ses observations ont une valeur toute différente. Tout le commencement de ce traité marque bien les tâtonnements de ce grand esprit, qui entreprend un premier essai régulier de psychologie, qui cherche sa voie dans ce champ d’études encore à peu près inexploré. Il se montre incertain sur la méthode à suivre. Il s’interroge, sans trouver immédiatement une réponse satisfaisante, et c’est en traitant son sujet qu’il résoudra ce problème logique. C’était d’ailleurs son avis qu’il faut déjà connaître une science pour savoir quelle méthode lui convient. Or celle-ci est si nouvelle, ses devanciers l’ont si peu cultivée pour elle-même, qu’il y rencontre, se pressant à la fois, une foule de questions (les apories) dont il doit s’occuper tôt ou tard et qui forment comme le programme, d’abord confus, de ses recherches. Les unes sont maintenant surannées, les autres sont encore débattues aujourd’hui. À quelle classe d’êtres l’âme appartient-elle ? Est-elle une qualité ou une substance ? Est-elle seulement en puissance, ou en acte et pleinement réalisée ? Est-elle homogène en toutes ses formes, ou bien y a-t-il plusieurs âmes et diffèrent-elles par le genre ou l’espèce ? Quels sont surtout les rapports de l’âme et du corps ? La pensée, la raison elle-même semble dépendre de l’imagination, et supposer ainsi, comme sa condition, quelque fonction corporelle ; est-ce vrai cependant ? Enfin, il faudra examiner les relations de la faculté ou de l’organe aux opérations de la faculté, et décider si c’est la raison ou le fait de penser, les sens ou le fait de percevoir qu’il convient d’abord d’étudier.

Mais ce qui préoccupe par-dessus tout Aristote, c’est l’étroite et manifeste liaison des faits physiologiques et des faits psychologiques. Il regarde comme nécessaire de ne pas séparer, dans la recherche, ces deux ordres de phénomènes, et il fait rentrer, du moins en grande