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partie, la psychologie dans le domaine de la physique. Ce nom de physique, il est vrai, n’a pas pour lui le même sens que pour nous ; la physique, comme il l’entend, est la science des qualités des corps, non dans leur abstraction, mais dans leurs manifestations concrètes. Tandis que la métaphysique a pour objet ces attributs de l’être qui sont immuables et ne trouvent jamais leur expression dans la matière (ἀκίνητα, χωριστά) ; tandis que les mathématiques se rapportent aux attributs qui sont également invariables, mais qui sont plus ou moins exprimés dans la matière (περὶ ἀκίνητα μὲν οὐ χωριστὰ δὲ) ; la physique traite, au contraire, de ceux qui sont changeants et inséparables de quelque matière (περὶ ἀχώριστα μὲν ἀλλ’ οὐκ ἀκίνητα, Mét., E., 1) ; elle s’occupe des phénomènes qui ne sont pas indépendants de la matière, elle est surtout la science du mouvement. Or c’est un fait que l’esprit et le corps sont intimement unis, et l’âme doit être expliquée physiquement (φυσικῶς), c’est-à-dire avec une méthode concrète qui permette d’en connaître complètement toutes les relations. Comme Platon,. Aristote est d’avis qu’il est impossible de l’étudier sans tenir compte de ses rapports avec tous les êtres de la nature. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette physique n’a rien de commun avec le matérialisme. Elle suppose elle-même la recherche des quatre principes sans lesquels on ne peut expliquer aucune existence, et elle ne doit pas manquer, dans l’étude des êtres vivants, de faire intervenir l’esprit comme leur forme (εἶδος) constitutive.

L’âme, en effet, aux yeux d’Aristote, n’est pas seulement un principe de mouvement. Comme telle, elle relève sans doute de la physique ; mais il y a une philosophie supérieure à la philosophie de la nature et l’âme relève aussi de la métaphysique. En réalité, ni le physiologiste, ni le métaphysicien ne peuvent séparément la connaître tout entière. Il faut qu’ils réunissent leurs efforts. C’est le caractère propre de notre nature psychique de rendre cette collaboration nécessaire. Les sentiments, par exemple, ces idées matérialisées (λόγοι ἔνυλοι), ne peuvent être compris qu’autant que l’on considère à la fois leur aspect suprasensible et leurs antécédents physiologiques. Aristote donne un exemple (De An., I, i, § 11) de ces deux interprétations qu’il faut réunir pour obtenir une explication vraiment psychologique : « S’agit-il de définir la colère ? Le métaphysicien, dit-il, l’expliquerait en disant que c’est le désir de rendre le mal pour le mal, et le physicien en disant que c’est un bouillonnement, dans le cœur, de la chaleur ou du sang. L’un s’attache à la matière, l’autre à la forme. » Il faut saisir ces deux aspects d’un seul et même phénomène et en voir l’influence réciproque. Il ne nous suffirait pas de proclamer que l’âme est une substance ; nous devons encore étudier ses attributs. Sans cette connaissance des phénomènes variés dans lesquels l’âme se manifeste, par lesquels s’exerce son activité, nous en serions réduits à une vaine phraséologie. Une histoire naturelle de l’âme qui la suit depuis sa forme la plus élémentaire jusqu’à la plus développée, est indispensable à toute