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mentales, telles que la sensation elle-même, l’opinion, la pensée, la connaissance scientifique. Elle est sans doute très étroitement associée à la sensation, puisqu’elle résulte de la sensation. Mais, tandis que la sensation a besoin d’un objet pour se produire, l’imagination s’exerce en l’absence de tout objet actuel. Tous les animaux sont [capables d’éprouver, à des degrés différents, des sensations ; il n’est pas sûr qu’ils aient tous de l’imagination. Enfin, l’activité des sens et celle de l’imagination sont souvent en raison inverse l’une de l’autre, et la dernière se manifeste fréquemment lorsque nous avons les yeux fermés. Il est très important, en second lieu, de ne pas confondre l’imagination et l’opinion. L’opinion peut être trompeuse, comme l’imagination, mais elle a pour caractère distinctif de produire la croyance (πίστις), et la croyance implique un acte de pensée ou de raison dont tous les animaux sont incapables, alors qu’ils ne sont pas tous incapables d’avoir de l’imagination. Dira-t-on que l’imagination vient d’une combinaison de la sensation et de l’opinion ? Le résultat de cette théorie serait d’identifier l’imagination avec la conception immédiate d’une sensation. Mais ce n’est pas la même chose d’imaginer et de concevoir. Pour l’imagination proprement dite, le soleil n’a pas plus d’un pied de diamètre ; nous le concevons cependant comme plus grand que la terre. Il reste que l’imagination dépend de la sensation, et elle nous fournira des images plus ou moins exactes de la réalité, suivant qu’elle sera comme la persistance dans notre esprit de quelque sensation déterminée, ou qu’elle en reproduira seulement la trace plus ou moins affaiblie et déformée.

L’imagination ainsi définie, l’explication du rêve, de l’hallucination et des illusions de toutes sortes est un corollaire naturel de la théorie d’Aristote. C’est dans ses opuscules psychologiques surtout qu’il s’en est occupé. L’illusion en général résulte, selon lui, de ce fait que la faculté de former des images et celle de porter des jugements sont différentes et suivent des règles différentes. Mais la seconde peut réagir sur la première : un sens corrige souvent les illusions d’un autre sens. Les rêves, en particulier, sont l’effet d’un mouvement excité dans l’organisme ou du dehors ou du dedans. Il s’ensuit que les conditions de nos rêves sont aussi bien présentes le jour que la nuit ; l’activité des sens et de l’intelligence nous empêche de nous en apercevoir. « In die repellitur, dit saint Thomas, motus simulacrorum propter motus majores et excellentiores, dum operantur sensus… necnon operatur intellectus, sicut minor lux non apparet juxta magnam[1]. » M. Knauer fait suivre cette citation de remarques ingénieuses pour expliquer pourquoi nous ne sommes pas plus surpris dans nos songes des changements à vue qui s’y produisent si facilement. Nous connaissions déjà et ces paysages et les personnes que nous y rencontrons, mais d’une connaissance inconsciente, comme on voit les étoiles en plein jour sans

  1. Knauer, Grundlinien, p. 153.