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REVUE GÉNÉRALE.penjon. Psychologie d’Aristote

s’en douter. Nous n’en sommes pas moins familiarisés à notre insu avec ces objets de nos rêves, car nous rêvons toujours[1].

Cette théorie de l’imagination, et l’on en dirait autant de celle de la perception même, n’est pas pour déplaire aux matérialistes, puisque, d’après Aristote, les images résultent de mouvements excités dans les organes ; mais en lisant le Περὶ ψυχῆς il ne faut jamais oublier la définition de l’âme ; il faut se rappeler que c’est l’âme qui donne au corps et à ses mouvements toute leur signification. Avec cette réserve et celles que nous aurons bientôt l’occasion de faire, les explications les plus matérialistes ne le sont qu’en apparence et n’ont rien qui doive nous rebuter : l’idéalisme est au bout.

IV

Nous arrivons en effet à la partie la plus difficile et aussi la plus intéressante du Traité de l’âme, à celle qui traite de la Pensée, de la Raison, et où nous pourrons peut-être, malgré ses obscurités, trouver de quoi éclairer tout le reste lei encore, et surtout, c’est l’interprétation de M. Wallace qui me séduit. M. Chaignet y manque de hardiesse et se heurte à mille difficultés ; je ne dis pas qu’il les crée à plaisir et je ne m’étonne pas trop de sa prudence ; je comprends mieux, cependant, la prudence de saint Thomas.

Les motifs ne manquent pas pour expliquer l’embarras des commentateurs au point où nous en sommes. Les chapitres qui traitent de la raison, dans le Περὶ ψυχῆς, semblent un peu faits de pièces et de morceaux. La théorie tout entière de la connaissance paraît contradictoire, en ce sens qu’Aristote semble exagérer tantôt le rôle des sens et tantôt celui de la raison, dans l’acquisition de la vérité. Bien plus, toute cette doctrine de la raison a l’air de venir par surcroît, comme une pièce de rapport. Les psychologues modernes attribueraient à la pensée les fonctions que remplit ici le sens commun dont nous avons parlé. Que reste-t-il donc à la raison ? Les difficultés sont en partie résolues, en partie augmentées par la distinction d’une raison passive et d’une raison créatrice. Nous y prendrons le point de départ de nos éclaircissements, et nous dirons, pour faire comprendre tout de suite le sens de notre interprétation, que nos facultés intellectuelles sont, d’un côté, purement réceptives, qu’elles élaborent simplement et systé-

  1. La mémoire se distingue de l’imagination en ce qu’elle implique un objet auquel les souvenirs correspondent et qui occupe dans le passé un moment déterminé. Elle est définie : « la possession permanente d’une image sensible prise pour la copie de l’objet dont elle est l’image. » Aristote, qui lui a consacré un traité spécial, en parle peu dans son Traité de l’âme. On voit cependant, par un passage du premier livre, qu’elle périt avec le corps. Mais ses variations suivant l’âge et le tempérament, ses conditions physiques, et l’utilité des lois de l’association des idées pour retrouver un souvenir, sont particulièrement l’objet du Περὶ μνήμης καὶ ἀναμνήσεως.