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préhensible pour vous ; il faut bien pourtant qu’elle soit possible en soi, puisqu’elle est réelle. Si spécieuse que puisse être votre théorie, nous devons l’abandonner sans plus ample examen, puisque la pratique la contredit formellement.

Heureusement, cette contradiction n’est qu’apparente. Je ne nie, en effet, ni la réflexion ni l’observation intérieure ; mais je nie qu’elles puissent être expliquées par un retour réel de la pensée sur elle-même, par une intuition immédiate des opérations de notre esprit. On m’objecte les résultats obtenus au moyen de la conscience : je ne conteste pas ces résultats ; mais je les attribue à un autre moyen.

La réflexion, je crois pouvoir l’expliquer par l’emploi du langage ; l’observation intérieure, par la mémoire.

On sait que nous pouvons nous servir d’un mot et le faire entrer dans une phrase sans prendre la peine de penser réellement à l’objet qu’il désigne dans ce cas, le sens de notre phrase, ou notre idée, reste à l’état virtuel. Il est même des idées dont la définition est telle qu’elles ne sauraient être actuellement conçues : telles sont toutes les idées abstraites et générales, et notamment l’idée même de la pensée. Il est inutile, je crois, d’insister plus longtemps sur cette théorie, que l’on peut supposer acquise à la psychologie. — Ainsi, ce retour de la pensée sur elle-même, que l’on croit opérer réellement et en acte, ne s’opère que logiquement et en idée, au moyen du langage. Par exemple, j’imagine une chose, puis je me dis que je l’ai imaginée ; en prononçant ce mot, je n’imagine plus la chose ; elle n’entre dans mon esprit qu’à l’état d’idée, étant virtuellement contenue dans le mot que je prononce. On peut expliquer de la sorte cette espèce d’emboîtement des pensées les unes dans les autres que suppose le travail de la réflexion. On ne comprendrait pas qu’une pensée impliquât réellement en elle-même une autre pensée mais on comprend parfaitement qu’elle implique l’idée de cette pensée ; il suffit, pour cela, que je voie, ou que j’entende, ou que j’imagine le mot qui l’exprime.

Par un artifice analogue, mon esprit pourra se reporter à ses pensées antérieures. Si, pour penser à une chose, il me fallait la concevoir réellement, l’acte du souvenir serait inexplicable. En effet, je ne saurais concevoir réellement ma pensée passée qu’en la reproduisant intégralement, c’est-à-dire en concevant de nouveau une pensée semblable ; et, comme nous l’avons déjà remarqué, avoir deux fois de suite la même pensée, ce n’est pas penser à sa pensée. La difficulté n’existe plus, du moment qu’on admet que je puis parler d’une chose sans y penser réellement.

L’emploi du langage nous a donc expliqué le souvenir. Le souvenir