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SOURIAU.la conscience de soi

tions, elle ne pourra ni les précéder, car alors elle n’aurait pas encore d’objet, ni les suivre, car alors il faudrait admettre que la sensation existait avant d’être connue, ce qui est contraire à l’hypothèse. Elle ne pourra donc être observée à part. Toutes deux se produiront en même temps, l’une par l’autre, et ne pourront être distinguées que par abstraction. Si encore la conscience était susceptible de plus ou de moins, ses variations seraient un fait indépendant et pourraient être remarquées. Mais le principe même par lequel nous avons prouvé la conscience nous empêche d’admettre qu’elle ait des degrés. En effet, puisque la sensation n’existe qu’à la condition d’être connue, et autant qu’elle est connue, il est impossible qu’une sensation quelconque ou même qu’un élément quelconque de la sensation échappe à la conscience. Celle-ci ne peut donc être ni plus restreinte ou plus complète, ni plus claire ou plus obscure. Elle nous fait constater purement et simplement l’existence des faits, et c’est dans les phénomènes dont elle nous donne connaissance, non dans la connaissance que nous en avons, qu’il peut y avoir des différences et des variations. Dès lors, elle pourra être invoquée comme explication de l’observation intérieure en général, mais ne pourra être l’objet d’une observation particulière ni d’une expérimentation quelconque. Si la lumière ne faisait pas d’ombre et éclairait uniformément tous les objets, son existence ne pourrait être établie que par le raisonnement pur : il en est exactement de même de la conscience.

Raisonnons donc. Pourquoi la sensation n’existerait-elle qu’à la condition d’être connue ? N’est-elle donc par elle-même rien de réel, et la connaissance, qui, d’ordinaire, ne fait que constater l’existence de son objet, a-t-elle ici la propriété de le créer ? Sans peut-être s’en rendre compte, les partisans de la conscience raisonnent comme les idéalistes absolus, qui prétendent que les choses n’existent qu’à la condition d’être pensées, et que le soleil s’éteint quand je ferme les yeux. — Pourquoi serait-il contradictoire d’admettre que l’on peut sentir à son insu ? Sentir et savoir que l’on sent, est-ce donc la même chose ? Pour moi, quand je dis d’une sensation qu’elle est consciente, il me semble bien que j’ajoute quelque chose à l’idée que je m’en faisais tout d’abord ; la connaissance m’apparaît comme un acte de surcroît dès lors, pourquoi ce surcroît viendrait-il nécessairement ? Une sensation dont personne n’aurait conscience n’existerait pour personne ; sans doute ; cela ne l’empêcherait pas d’exister en soi.

En fait, la sensation se trouve chez des animaux à peine individualisés, et qui, certainement, n’ont pas l’idée de leur Moi ; elle apparaît chez les enfants avant qu’on soit en droit de leur attribuer la