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moindre activité intellectuelle. J’ai donc de fortes raisons pour croire qu’elle est bien antérieure à la connaissance ; et, en outre, je n’ai aucune peine à concevoir cette antériorité.

Soit, répondra-t-on. J’admets qu’il puisse y avoir hors de Moi des sensations inconscientes. Mais ce que je maintiens, c’est qu’il ne peut y en avoir en Moi.

Tout d’abord, je demanderai dans quel sens on prend ce mot de moi. Il a fait, à lui seul, tant de mal à la psychologie, qu’on ne saurait prendre trop de précautions contre lui. — Si vous parlez bien de vous, de votre être tout entier, de l’homme que vous êtes, alors votre assertion est toute gratuite, car je ne vois pas pourquoi vous connaîtriez nécessairement tout ce qui se passe en vous. S’il peut y avoir quelque part des sensations inconscientes, pourquoi n’y en aurait-il pas également dans l’homme, et en vous aussi bien que chez un autre. — S’agit-il de votre Moi, au sens philosophique du mot ? ce Moi-là n’étant que ce que vous connaissez de vous-même, il est trop clair que vous ne pouvez rien ignorer de ce qui se passe en lui. Mais il resterait à savoir si tous les faits qui s’accomplissent en vous sont bien représentés dans votre Moi, autrement dit si vous vous connaissez parfaitement vous-même : et nous avons vu que rien n’était moins certain.

VII

La conscience ne nous apparaît déjà plus comme nécessaire. Maintenant, doit-elle être admise comme un fait ? Pour répondre à cette nouvelle question, il nous faut abandonner les arguments a priori, et revenir à l’observation, aux analyses de détail, comme nous avons fait en étudiant la pensée et les sentiments.

Heureusement, la sensation possède une particularité qui nous facilitera singulièrement notre étude : c’est qu’elle se prête mieux que tout autre phénomène psychologique à l’expérimentation. Il ne m’est pas facile de fixer ma pensée sur un objet, ni de provoquer en moi des sentiments déterminés. Mais rien ne m’est plus commode que de me donner à volonté des sensations. Je n’ai qu’à me pincer le bras, à approcher ma main du feu, etc. : voilà des sensations bien nettes, bien intenses, que je pourrai retrouver chaque fois que j’en aurai besoin, et dès que la fantaisie me prendra de les étudier. Elles ont, de plus, l’avantage de me laisser l’esprit libre. Quand j’éprouve un sentiment, je ne songe guère à le raisonner ; quand je raisonne, j’ai assez à faire de bien enchaîner mes idées, sans m’inquiéter encore