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phénomènes eux-mêmes qui en est la conséquence, soulèvent des difficultés réelles. L’induction, il ne faut pas l’oublier, est la condition de la science, ou plutôt elle est la science même. Or l’induction consiste à ériger en loi, c’est-à-dire à universaliser dans le temps et dans l’espace un rapport constaté entre deux phénomènes. Si donc chaque phénomène dépend, non pas d’un antécédent unique, ni même d’un groupe déterminé d’antécédents, mais d’une série sans fin, et par conséquent non totalisable, de conditions antécédentes dans le temps et concomitantes dans l’espace, aucun phénomène ni aucun groupe de phénomènes ne peuvent suffire à déterminer un conséquent, et alors que devient l’induction, que devient la science ? D’un autre côté, il est incontestable que l’induction réussit, que la science se fait, et alors que devient la théorie ?

La réponse pourtant est aisée. Il est certain que, si l’induction devait être quelque chose d’absolu, s’il fallait qu’elle consistât dans une détermination rigoureuse et totale des phénomènes, tant en qualité qu’en quantité, et cela en vertu du rapport qui les lie à leurs antécédents, l’induction serait impossible. En fait, il en est autrement : si nous déterminons les phénomènes en qualité et en quantité, ce ne peut jamais être que d’une manière approximative. Bien loin donc de demander à l’induction des résultats d’une précision idéale, nous nous contentons parfaitement de solutions par à peu près suffisantes pour la pratique. Or il est clair que l’induction ainsi entendue n’exige pas une totalisation entière des conditions de chaque phénomène. Pour que nous soyons en droit de considérer un rapport de dépendance entre deux phénomènes A et B comme constituant ce que nous appelons une loi, il n’est nullement nécessaire que A soit la condition unique et totale de B ; il suffira qu’il en soit la condition prédominante, mais prédominante à tel point que toutes les autres influences qui concourent à la production de B disparaissent devant celle-là ; de sorte que, A étant connu, il soit possible de déterminer B par avance en qualité et en quantité, avec une approximation suffisante, eu égard à la perfection des moyens de vérification dont nous pouvons disposer : et si, en fait, l’induction est praticable, c’est qu’apparemment la condition que nous venons d’indiquer se trouve réalisée dans la nature. Par exemple, quand M. Le Verrier calcula a priori la masse, l’orbite, et la position dans le ciel à un moment donné de l’astre hypothétique qui devait d’après lui donner lieu aux déviations constatées d’Uranus, il dut, pour déterminer la position théorique de cette dernière planète, tenir compte de l’action qu’exerçaient sur elle le soleil et quelques-uns des astres les plus voisins : le résidu de l’action exercée, constituant justement la déviation