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notes et discussions

même songé à se rappeler toutes les circonstances qui avaient présidé à leur apparition ? Quand M. Masius et moi frottions avec conviction le vertex de la jeune malade aphone, nous ne nous faisions pas faute de lui dire : Réveillez-vous ! réveillez-vous donc ! Si nous avions continué nos expériences avec elle, nous en serions bien vite arrivés — je ne conserve aucun doute sur ce point — à la réveiller par la simple friction sans la parole ; et nous aurions cru à l’efficacité absolue de la friction, et à l’inutilité de la parole. Aurions-nous été dans le vrai ?

Les phénomènes de transfert, par exemple, me sont restés suspects, parce que je me défie des suggestions inconscientes données par l’hypnotiseur. J’ai fait sur ce point des expériences qui m’ont donné des résultats absolument négatifs et, j’oserais presque ajouter, concluants. Je les publierai prochainement. Il m’eût suffi de bien peu de chose pour obtenir des résultats diamétralement opposés.

Le lecteur voudra bien le remarquer, je ne nie pas ; je doute. Je crains que le sujet — il s’agit toujours principalement de cette célèbre W… — ne devine ce que l’on veut obtenir d’elle. Comment serait-elle arrivée à savoir deviner ? Je n’en sais rien, et peut-être est-il impossible maintenant, pour le cas où il en serait ainsi, de le savoir.

Voilà pour les questions 1o, 2o, 4o. Quant au 3o, je ne suis pas embarrassé de donner la réponse. Mes sujets J. et M., ainsi que A., B et C., les sujets de M. Ch…, conservent indéfiniment, sans fatigue, sans tremblement, sans accélération du rythme respiratoire, les attitudes qu’on leur fait prendre. M. Masius a laissé pendre au bras de J… une lourde chaise, pendant plus de 10 minutes, sans qu’elle fléchit. Seulement le lendemain elle accusait dans la hanche une gêne qu’elle ne savait à quelle cause attribuer.

M. Binet veut bien s’approprier mes paroles ; je ne fais pas de difficulté de m’approprier les siennes : « Nous n’avons sur ces questions aucun parti pris, etc. »

Un mot encore cependant. M. Binet parle toujours de mes malades[1]. J… et M… sont loin d’être des malades, on peut m’en croire. Ce sont deux fortes filles, bien robustes, bien saines, et de mœurs absolument pures. Elles ont reçu une bonne éducation primaire, et J… particulièrement est très intelligente. Entre parenthèses, elle essaye de se raisonner ce qui se passe en elle. Ce qui m’a conduit à des expériences des plus curieuses sur le raisonnement chez les hypnotisés. Mais depuis j’ai eu l’occasion d’hypnotiser dans le village où je passe mes vacances une solide campagnarde de dix-neuf ans (taille 1 mètre 53, poids 68 kilog.) dont je relaterai l’histoire à la prochaine occasion. Elle fut endormie pour la première fois en 4 ou 5 minutes. Je lui avais annoncé que j’allais l’endormir. Elle présenta immédiatement — mais je la prévenais toujours de ce qui allait se passer — les phénomènes ordinai-

  1. Cette rectification n’a plus de sens, M. Binet ayant, partout dans sa réponse, biffé ce mot. Je la laisse pour ne pas perdre le bénéfice.